samedi 10 octobre 2009

La compassion

Brad Warner a posté l'autre jour un article sur son blog qui parlait de la compassion. Comme à chaque fois qu'il aborde ce sujet, il a rappelé ce kôan zen où l'ancêtre Ungo demande à l'ancêtre Dogo : “Que fait le bodhisattva Kannon (Avalokiteshvara) avec tous ses bras et tous ses yeux ?” L'autre répond : “C'est comme quelqu'un qui allonge la main derrière sa tête dans la nuit, pour réajuster son oreiller.”

Ici, il est fait référence à une des représentations d'Avalokiteshvara “aux mille bras et aux mille yeux”, parce qu'en tant que bodhisattva de la compassion, il voit tout et a des bras partout pour agir pour le bénéfice de tous les êtres.

Donc, Brad Warner nous y dit que la compassion est une forme d'égoïsme. Non pas la variété courante où on tente de tout prendre sans rien laisser aux autres, mais dans un sens où le mot “compassion” n'est pas synonyme de sacrifice.

Nishijima rôshi dit que l'état d'équilibre en zazen nous permet de faire exactement ce que nous voulons. Mais la plupart d'entre nous ne comprenons pas réellement ce que nous voulons vraiment. Nous imaginons tout vouloir sans égards pour les autres, mais c'est faux ! Nous sommes intimement reliés au niveau le plus profond avec tout et tous ceux avec qui nous entrons en contact. A ce niveau, ce que nous voulons pour nous et pour les autres est strictement pareil.

Si on va voir un bon musicien en concert, on peut voir la véritable compassion à l'oeuvre. Le bon musicien n'écrit pas des chansons ou de la musique pour se sacrifier pour les autres. Il ne se produit pas pour sauver tous les êtres, mais c'est pourtant exactement ce qu'il accomplit pour ses fans. Pour lui, cette action est absolument naturelle, il fait exactement ce qu'il veut faire comme il veut le faire. En ce sens, ses actions sont égoïstes au dernier degré, voire narcissiques. Et pourtant, cette activité où il ne s'occupe que de lui-même, parce qu'il sent que c'est bon pour lui, aide les autres en nombre incommensurable.

C'est à ce type de compassion que fait référence le kôan entre Ungo et Dogo, à propos de la main qui s'allonge pour chercher l'oreiller dans la nuit. La véritable compassion n'a vraiment rien à voir avec l'idée de la compassion.

D'autre part, Joshu Sasaki Roshi disait : “Le Zen n'est pas la manière des saints. Mais il est parfois utile d'imiter leur comportement.” Il y a des fois où il est bien difficile de savoir exactement ce que l'on veut. C'est alors qu'il peut y avoir du bon d'imaginer ce qu'une personne compatissante idéale ferait et le faire. Mais lorsqu'on le fait, il faut faire tout aussi attention que si on agissait de façon purement égoïste, car cela peut même être encore plus dangereux.

Si on trouve un papillon qui s'efforce de sortir de son cocon, on pourrait imaginer que l'aider serait la chose à faire. Mais si on fait cela, on le condamne : cet effort pour s'extraire de son cocon est nécessaire pour renforcer ses ailes. Sans cela, il ne pourrait jamais voler. Offrir son aide de façon non appropriée peut être extraordinairement dommageable. C'est d'ailleurs un ressort comique de nombreux films à la Pierre Richard... On crée plus de problèmes qu'on n'en résout.

Il existe ce que Chögyam Trungpa appelait la compassion idiote. En développant la compassion, il ne faut pas négliger la sagesse. On doit commencer par prendre soin de soi-même et tenter de ne pas être un fardeau pour les autres. En prenant soin de soi, on bénéficie aux autres, et on peut même devenir un bon exemple de ce qu'est une vie constructive et joyeuse.

Il s'agit, encore une fois, d'équilibre. Certaines personnes sont égoïstes au point de blesser les autres. D'autres sont tellement généreuses qu'elles se font du mal à elles-mêmes.

Les chercheurs en psychologie positive (Une psychologie qui met l'accent sur une santé mentale optimale plutôt que sur la maladie mentale) ont découvert que les émotions positives, telle la compassion, suscitent une expansion de l'esprit, génèrent de la créativité et permettent de penser davantage en termes de nous qu'en termes de je. Mais aussi que tenter de forcer ces émotions positives peut mener à une forme d' "insincérité toxique." Ceux qui ont vu cela à l'oeuvre savent de quoi nous parlons.

Je connais une fille qui veut tellement aider les autres qu'elle se met dans la m... pour aider les autres. Et elle demande de l'aide sans jamais réfléchir si elle ne va pas déranger. Voilà une recette du malheur bien efficace !

Cette main qui s'allonge dans la nuit pour attraper l'oreiller et le remettre en place, c'est la forme véritable de la compassion : une action réelle au moment où elle est nécessaire. Si on n'y pense avant, on est décalé. Si on y pense après, on est décalé. On ne peut pas y penser pendant, parce que le moment de l'action n'est pas le moment de la réflexion.

2 commentaires:

Hezekiel a dit…

C'est une approche différente mais dans laquelle je me retrouve...

Et pis, la classe le kesa européen de Brad ! Quel style ! ;-) (je l'ai vu sur une photo)

nonihil a dit…

Bien vu !