vendredi 29 octobre 2010

Mondo avec Brad Warner

PREMIÈRE QUESTION DU JOUR:
Parlez-nous de la motivation à continuer la pratique de zazen.

Je pratique zazen depuis environ 5 ans tous les jours, et j'ai l'impression que cela m'est devenu en quelque sorte facile, maintenant. Ce qui est marrant, c'est que plus cela m'est facile et plus il m'est difficile de me trouver des raisons de poursuivre ma pratique. Je veux dire par là qu'au début, c'était assez sympa lorsque j'arrivais à m'asseoir, disons vingt minutes face au mur, mais je trouve qu'il est moins évident aujourd'hui de trouver du sens à poursuivre. Je me demandais si vous auriez quelque chose de brillant à dire sur ce sujet?


MA REPONSE:
C'est là l'une des questions qu'on me pose le plus souvent. Comment entreprend-on la pratique du Zen? Et comment poursuit-on?

Les personnes qui posent ces questions finissent généralement par s'interroger sur la motivation. Mais je me demande si celle-ci est vraiment ce dont nous avons besoin.

Le but avoué d'un discours de Dharma est habituellement l'"encouragement." Le discours est censé fournir aux auditeurs une motivation à poursuivre cette pratique si souvent difficile et apparemment inutile. Lorsque ces discours de Dharma comprennent souvent -- comme c'est souvent le cas chez moi" des phrases comme celle, célèbre, de Kodo Sawaki à l'effet que "Zazen ne sert à rien" on a souvent l'impression qu'ils manquent tout à fait à leur objectif. Pourquoi poursuivre une pratique qui ne sert à rien?

La seule façon dont je puisse répondre à cette question est de tenter de comprendre pourquoi je continue de pratiquer. Je suppose que je suis un bon cas d'école, car voilà bien vingt ans que je poursuis cette pratique inutile et que je n'ai aucune intention d'arrêter. Et pourtant, je me demande souvent pourquoi je le fais, même au moment où je suis assis sur une serviette roulée face au mur d'une chambre d'hôtel dans un pays étranger, avec les hurlements des sirènes ou les appels à la prière que gueulent les haut-parleurs de la mosquée voisine et qui me déchirent les tympans, vu que je me suis réveillé tôt et que j'ai remis le déjeuner à plus tard, histoire de faire cela.

Et pourtant, au moment même où je me demande pourquoi je le fais, je continue à le faire. Même en sachant que ça ne sert à rien, je continue à m'asseoir. Suis-je bête? Peut-être. Et c'est peut-être ce qu'il y faut.

A une époque, je pratiquais zazen parce que j'aurais voulu avoir une expérience d'éveil. Purement et simplement. Je n'ai pas commencé par cette motivation. Mais peu après avoir commencé la pratique, j'ai lu les Trois Piliers du Zen de Philip Kapleau avec ses extraordinaires descriptions d'authentiques expériences d'éveil et j'en voulais une, moi aussi. Ce qui s'est révélé être assez pourri comme motivation, vu que ça n'arrivait jamais. J'ai donc laissé tomber.

C'est lorsque j'ai laissé tomber zazen que j'ai découvert la seule forme de motivation qui ait jamais réellement marché. Très simplement, lorsque j'ai cessé de pratiquer zazen, je me suis senti comme une merde. Les premières rares fois où j'ai cessé la pratique, je n'ai pas vraiment bien compris pourquoi je me sentis aussi merdique. Puis, lorsque je m'y remettais, les choses allaient un peu mieux. Il ne s'agissait pas d'une vaste amélioration. Mais cela valait mieux que de ne pas le faire. Je me suis donc remis à la pratique.

J'ai dit et redit ceci plus souvent que je ne puisse le compter. Je suis sûr que c'est dans tous mes livres sous une forme ou une autre. Et je sais que je l'ai écrit sur ce blog à plusieurs reprises aussi [NB: http://hardcorezen.blogspot.com] Et pourtant, on me pose sans cesse à nouveau la question de la motivation.

Il y a deux ou trois choses que je puisse dire qui seraient utiles. L'une est que cela s'améliore. Il y a réellement des moments de pénétration et de transcendance. On peut se dégager d'un paquet de déchets qui pouvaient nous clouer au sol. On peut même arriver à l'une de ces prétendues "expériences d'éveil".

Je ne soutiens pas que ces choses-là n'arrivent pas. Au contraire. Et elles ont une valeur, c'est sûr. Et pourtant, comme j'ai dit, l'éveil c'est pour les tapettes. C'est pas le but de la pratique. Ce n'est pas ça l'objectif.

Au bout du compte, nous devons tous nous fournir notre propre motivation. Ce qui me motive à moi pourrait ne pas marcher pour vous. J'espère seulement que ceci pourra vous aider à trouver la vôtre.


QUESTION #2:
Vous dites que vous ne concentrez pas votre esprit sur quoi que ce soit en particulier, que vous laissez simplement votre conscience aller là où elle va, mais que vous vous assurez en permanence de la correction de votre posture.

Mon expérience est que chaque enseignant enseigne la posture de zazer un peu différemment. Le dos des mains sur les cuisses, les deux petits doigts sur l'estomac juste en dessous du nombril en serait un exemple.

Mais voici ma vraie question: lorsque zazen "se lève et marche" comme Kobun Chino Otogawa disait qu'il arrive parfois, comment s'assurer que la posture est correcte?


REPONSE #2:
C'en est là une autre qu'on me pose souvent. Une des variations populaires est: comment maintenir son esprit de zazen lorsqu'on n'est pas assis sur le zafu? Et là encore, je ne puis répondre qu'à partir de mon expérience personnelle.

Je travaillais beaucoup sur ce genre de choses, à une époque. Quand j'ai débuté, j'avais un boulot de postier à temps partiel. Donc, en faisant ma tournée, je faisais attention à mes sensations, à tenir mon dos droit et ma cage thoracique ouverte en marchant, à la couleur du ciel et aux sons qui m'entouraient. Ce genre de choses, quoi. J'avais dû lire ça dans un livre. Probablement pas un livre zen.

Je ne fais plus cela, réellement. Du moins, consciemment. J'ai peut-être intériorisé la chose et m'en suis fait une habitude. Je n'en sais rien.

Il est arrivé un moment, après peut-être une dizaine d'années de pratique, où j'ai remarqué quelque chose d'étrange: les couleurs étaient plus vives, les sons plus nets, ma vision plus claire et mes sens en quelque sorte affûtés. C'était comme si un grand voile de gaze noire qui aurait enveloppé mon corps tout entier avait été enlevé et que je pouvais enfin voir et ressentir les choses directement. La seule autre fois où j'avais ressenti quoi que ce soit de ce genre, c'était lorsque j'avais pris du LSD.

Quelle en fut la cause? Je n'en sais rien. Plus de dix ans de zazen tous les matins plus des tas de sesshins de plusieurs jours ont certainement fait leur part, mais ce n'était pas quelque chose que j'avais recherché.

Aujourd'hui, je n'ai pas l'impression que cela soit correcte lorsque je suis affalé sur une chaise ou un canapé. Il y a quelques années, je me suis débarrassé de mon canapé (à l'époque où j'avais un salon, quel luxe!) parce que je ne supportais plus d'y être assis. Je l'ai remplacé par des coussins par terre.

A l'instant où j'écris, je suis assis dans un café (le Shaika, dans Notre-Dame de Grâce, à Montréal) et mon dos ne pose pas contre le dossier, parce que je trouve cela trop relâché et déconcentré. Lorsque je conduis, je relève le dossier jusqu'à presque droit sans quoi j'ai l'impression de n'être qu'à moitié éveillé.

Donc, comment garde-t-on son esprit de zazen en faisant autre chose? De la même façon dont on fait zazen: lorsqu'on s'aperçoit qu'on dérive, revenir à la bonne posture. Quand on se retrouve en train de dériver, revenir à la bonne posture encore. Au bout d'un moment, cela devient une habitude et on n'a même plus à y penser.

Dans son commentaire du Sûtra du Coeur, Dôgen dit: "Il existe quatre formes de prajñâ dans la vie de tous les jours: quand on marche, quand on est debout, quand on est assis et quand on s'étend. la prajñâ est sagesse intuitive. Donc, pour Dôgen, la vie toute entière est sagesse, elle toute zazen. Que nous l'observions ou pas n'a guère d'importance.

C'est bon? C'est bon.

Là, je vais faire autre chose!

(Blog de Brad Warner du 24 octobre).