dimanche 14 juillet 2019

L'âne et la carotte

La carotte peut-elle faire le bonheur de l'âne?

Tout le monde connaît le truc de la carotte pendue au bout d'une perche, devant le nez de l'âne, pour le faire avancer.
L'autre jour, à la vue d'un gamin hurlant "j'ai envie" face à la vitrine d'un magasin de babioles à un euro, je me suis rappelé un incident du même genre avec un mien neveu et me revoilà parti sur les trois poisons: avidité, aversion et ignorance.

Il semble bien que l'avidité soit un des moteurs principaux de l'être humain. Selon David Loy (et j'acquiesce), cette avidité est en relation avec le non-soi. J'ai redit ailleurs que le bouddha-dharma enseigne le non-soi, c'est-à-dire que rien n'existe en soi. Or, si ce principe est relativement facile à intégrer, en ce qui concerne les choses et les objets, par exemple qu'il n'y a pas de livres sans papier et sans encre, qu'il n'y a pas de papier sans fibre cellulosique et son élaboration, qu'il n'y a pas d'encre sans suie et huile, que l'auteur est indispensable, etc., admettre pour soi-même ce processus est un poil plus difficile.

Et même si nous voulons l'admettre pour notre corps, nos besoins physiques, nos origines etc., il reste un petit réduit pour lequel nous n'avons guère envie d'admettre le non-soi, et qui est notre conscience. L'homme a donc imaginé une âme immortelle emprisonnée dans un corps temporaire; après quoi il y a plusieurs versions, dont celle du Christianisme de choix entre l'enfer ou le paradis pour l'éternité, avec parfois l'idée d'un purgatoire temporaire avant le paradis pour l'éternité. Ce schéma comporte de nombreuses variantes, qu'on retrouve même dans le bouddha-dharma mahâyanique; il est concurrencé par le schéma métempsychotique où l'âme papillonne d'une existence à l'autre, avec ou sans existences animales, l'idée de base étant toujours de récompenser les bons et de punir les méchants.

L'idée de base du bouddha-dharma est que l'être humain sait, au plus profond de lui-même, cette réalité du non-soi, et il tente par tous les moyens de se prouver le contraire, en particulier au moyen de la possession: "Je possède, donc je suis". L'idée générale étant "je vaux quelque chose, puisque je possède tant", ou "puisque j'ai tant de pouvoir..." ou "puisque tant de gens m'admirent..." et ainsi de suite.

A plus petite échelle, cela se manifeste avec la voiture, la montre, les vêtements, le ou la partenaire. Exister dans le regard des autres, puisque cela n'est pas possible dans le sien propre (trop insuffisant.)

Donc, pour revenir à la carotte, si je n'obtiens pas ce que je désire, c'est mon existence même qui en est menacée!

Un des cas les plus typiques, c'est celui du désir charnel et de la jalousie. Le domaine des passions où le verbe pâtir a une si belle part! Certains vont même jusqu'à se suicider ("s'anéantir"), dans certains cas extrêmes. Les personnes les plus tourmentées par ce problème tendent à se lancer dans une politique d'acquisition sans fin: que ce soit en biens matériels, en pouvoir ou en conquêtes sexuelles, il n'y en a jamais assez. On leur donnerait une montagne d'or et ils en demanderaient une deuxième.

Comme c'est en fait le processus d'acquisition qui compte, et non pas l'acquis lui-même, le processus est sans fin et par là, désespérant. Exactement comme la carotte pendant au bout du museau de l'âne.

Donc, si l'on prend conscience de ce fait, la sagesse serait de cesser de courir après la carotte.

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