mercredi 7 avril 2021

Second degré

 Quelques mois d'absence. Mais j'ai été occupé. Je sais, c'est pas une excuse, mais c'est comme ça. Na!

Le livre de Brad Warner, Sit Down and Shut Up,  que j'avais traduit, vient d'être publié chez Almora. Précipitez-vous chez votre libraire. S'il vous plaît.


C'est une présentation très fraîche et dynamique de certains des chapitres du Shôbôgenzô  de maître Dôgen.  Je le recommande, mais je ne l'aurais pas traduit autrement!

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Je voulais parler aujourd'hui d'une notion qui m'est apparue ce matin. Je travaille à la rédaction d'un livre où je parlerais des obstacles qui se présentent aux pratiquants du zen, en particulier en France, et ce matin, il en est un qui est venu me frapper comme le manche d'un râteau oublié... (et qui n'a même pas la neige sous laquelle hiverner).

Les zenistes ont trop souvent oublié le sens du second degré. Voire de l'humour en général et en tout cas de l'auto-ironie qui reste, pour moi, un élément essentiel de la Voie. Toute la littérature des kôans est remplie de démonstrations d'un humour parfois très corrosif, et je comprends que certains se perdent en conjectures sur la signification profonde de ces histoires, s'ils insistent tant à les prendre au premier degré.

Bref, j'ai commencé cette réflexion en me rappelant l'air outragé d'une "zéniste" à qui je disais que j'étais un maître zen, puisque j'avais reçu la transmission, mais sur le ton de la dérision, parce que je trouvais la chose assez exagérée. Elle, n'a rien trouvé de mieux que de me balancer une insulte qui en était aussi une à mon maître. J'ai trouvé ça dommage. 

Et puis, je me suis rappelé une anecdote rapportée par une connaissance, qui avait passé quelques années au dôjô de Nishijima rôshi, à Moto-Yawata, en banlieue de Tôkyô. Une japonaise habitant au dôjô lui avait prêté son vélo, mais comme elle en avait perdu la clef, il fallait scier  le cadenas pour pouvoir l'utiliser. Sur les entrefaites, Nishijima sort, les voit, et leur demande ce qu'ils font. Hervé lui répond en rigolant qu'ils sont en train de voler le vélo. Plaisanterie qui échappe totalement à Nishijima qui se met à les gronder en disant que cela va à l'encontre du précepte etc., etc. 

Les Japonais ne connaissent pas le second degré. C'est aussi simple que ça. Il s'agit d'un truc culturel, et souvent, j'ai eu l'impression que les personnes qui se mettent au zen, inconsciemment, en arrivent à prendre eux aussi cette mentalité. Est-ce par imitation du Japon? Par "esprit de samouraï"? On pourrait sans doute étudier le sujet, mais il n'en reste pas moins que ce phénomène est trop courant, et je crois, préjudiciable à une saine évolution des personnes, parce qu'elle interdit l'auto-ironie, qui est sans doute, de toutes, l'arme la plus puissante pour lutter contre les prétentions de l'ego, cette perception erronée qui place "je" à une place isolée par rapport à "tu" et à "il/elle".