vendredi 29 octobre 2010

Mondo avec Brad Warner

PREMIÈRE QUESTION DU JOUR:
Parlez-nous de la motivation à continuer la pratique de zazen.

Je pratique zazen depuis environ 5 ans tous les jours, et j'ai l'impression que cela m'est devenu en quelque sorte facile, maintenant. Ce qui est marrant, c'est que plus cela m'est facile et plus il m'est difficile de me trouver des raisons de poursuivre ma pratique. Je veux dire par là qu'au début, c'était assez sympa lorsque j'arrivais à m'asseoir, disons vingt minutes face au mur, mais je trouve qu'il est moins évident aujourd'hui de trouver du sens à poursuivre. Je me demandais si vous auriez quelque chose de brillant à dire sur ce sujet?


MA REPONSE:
C'est là l'une des questions qu'on me pose le plus souvent. Comment entreprend-on la pratique du Zen? Et comment poursuit-on?

Les personnes qui posent ces questions finissent généralement par s'interroger sur la motivation. Mais je me demande si celle-ci est vraiment ce dont nous avons besoin.

Le but avoué d'un discours de Dharma est habituellement l'"encouragement." Le discours est censé fournir aux auditeurs une motivation à poursuivre cette pratique si souvent difficile et apparemment inutile. Lorsque ces discours de Dharma comprennent souvent -- comme c'est souvent le cas chez moi" des phrases comme celle, célèbre, de Kodo Sawaki à l'effet que "Zazen ne sert à rien" on a souvent l'impression qu'ils manquent tout à fait à leur objectif. Pourquoi poursuivre une pratique qui ne sert à rien?

La seule façon dont je puisse répondre à cette question est de tenter de comprendre pourquoi je continue de pratiquer. Je suppose que je suis un bon cas d'école, car voilà bien vingt ans que je poursuis cette pratique inutile et que je n'ai aucune intention d'arrêter. Et pourtant, je me demande souvent pourquoi je le fais, même au moment où je suis assis sur une serviette roulée face au mur d'une chambre d'hôtel dans un pays étranger, avec les hurlements des sirènes ou les appels à la prière que gueulent les haut-parleurs de la mosquée voisine et qui me déchirent les tympans, vu que je me suis réveillé tôt et que j'ai remis le déjeuner à plus tard, histoire de faire cela.

Et pourtant, au moment même où je me demande pourquoi je le fais, je continue à le faire. Même en sachant que ça ne sert à rien, je continue à m'asseoir. Suis-je bête? Peut-être. Et c'est peut-être ce qu'il y faut.

A une époque, je pratiquais zazen parce que j'aurais voulu avoir une expérience d'éveil. Purement et simplement. Je n'ai pas commencé par cette motivation. Mais peu après avoir commencé la pratique, j'ai lu les Trois Piliers du Zen de Philip Kapleau avec ses extraordinaires descriptions d'authentiques expériences d'éveil et j'en voulais une, moi aussi. Ce qui s'est révélé être assez pourri comme motivation, vu que ça n'arrivait jamais. J'ai donc laissé tomber.

C'est lorsque j'ai laissé tomber zazen que j'ai découvert la seule forme de motivation qui ait jamais réellement marché. Très simplement, lorsque j'ai cessé de pratiquer zazen, je me suis senti comme une merde. Les premières rares fois où j'ai cessé la pratique, je n'ai pas vraiment bien compris pourquoi je me sentis aussi merdique. Puis, lorsque je m'y remettais, les choses allaient un peu mieux. Il ne s'agissait pas d'une vaste amélioration. Mais cela valait mieux que de ne pas le faire. Je me suis donc remis à la pratique.

J'ai dit et redit ceci plus souvent que je ne puisse le compter. Je suis sûr que c'est dans tous mes livres sous une forme ou une autre. Et je sais que je l'ai écrit sur ce blog à plusieurs reprises aussi [NB: http://hardcorezen.blogspot.com] Et pourtant, on me pose sans cesse à nouveau la question de la motivation.

Il y a deux ou trois choses que je puisse dire qui seraient utiles. L'une est que cela s'améliore. Il y a réellement des moments de pénétration et de transcendance. On peut se dégager d'un paquet de déchets qui pouvaient nous clouer au sol. On peut même arriver à l'une de ces prétendues "expériences d'éveil".

Je ne soutiens pas que ces choses-là n'arrivent pas. Au contraire. Et elles ont une valeur, c'est sûr. Et pourtant, comme j'ai dit, l'éveil c'est pour les tapettes. C'est pas le but de la pratique. Ce n'est pas ça l'objectif.

Au bout du compte, nous devons tous nous fournir notre propre motivation. Ce qui me motive à moi pourrait ne pas marcher pour vous. J'espère seulement que ceci pourra vous aider à trouver la vôtre.


QUESTION #2:
Vous dites que vous ne concentrez pas votre esprit sur quoi que ce soit en particulier, que vous laissez simplement votre conscience aller là où elle va, mais que vous vous assurez en permanence de la correction de votre posture.

Mon expérience est que chaque enseignant enseigne la posture de zazer un peu différemment. Le dos des mains sur les cuisses, les deux petits doigts sur l'estomac juste en dessous du nombril en serait un exemple.

Mais voici ma vraie question: lorsque zazen "se lève et marche" comme Kobun Chino Otogawa disait qu'il arrive parfois, comment s'assurer que la posture est correcte?


REPONSE #2:
C'en est là une autre qu'on me pose souvent. Une des variations populaires est: comment maintenir son esprit de zazen lorsqu'on n'est pas assis sur le zafu? Et là encore, je ne puis répondre qu'à partir de mon expérience personnelle.

Je travaillais beaucoup sur ce genre de choses, à une époque. Quand j'ai débuté, j'avais un boulot de postier à temps partiel. Donc, en faisant ma tournée, je faisais attention à mes sensations, à tenir mon dos droit et ma cage thoracique ouverte en marchant, à la couleur du ciel et aux sons qui m'entouraient. Ce genre de choses, quoi. J'avais dû lire ça dans un livre. Probablement pas un livre zen.

Je ne fais plus cela, réellement. Du moins, consciemment. J'ai peut-être intériorisé la chose et m'en suis fait une habitude. Je n'en sais rien.

Il est arrivé un moment, après peut-être une dizaine d'années de pratique, où j'ai remarqué quelque chose d'étrange: les couleurs étaient plus vives, les sons plus nets, ma vision plus claire et mes sens en quelque sorte affûtés. C'était comme si un grand voile de gaze noire qui aurait enveloppé mon corps tout entier avait été enlevé et que je pouvais enfin voir et ressentir les choses directement. La seule autre fois où j'avais ressenti quoi que ce soit de ce genre, c'était lorsque j'avais pris du LSD.

Quelle en fut la cause? Je n'en sais rien. Plus de dix ans de zazen tous les matins plus des tas de sesshins de plusieurs jours ont certainement fait leur part, mais ce n'était pas quelque chose que j'avais recherché.

Aujourd'hui, je n'ai pas l'impression que cela soit correcte lorsque je suis affalé sur une chaise ou un canapé. Il y a quelques années, je me suis débarrassé de mon canapé (à l'époque où j'avais un salon, quel luxe!) parce que je ne supportais plus d'y être assis. Je l'ai remplacé par des coussins par terre.

A l'instant où j'écris, je suis assis dans un café (le Shaika, dans Notre-Dame de Grâce, à Montréal) et mon dos ne pose pas contre le dossier, parce que je trouve cela trop relâché et déconcentré. Lorsque je conduis, je relève le dossier jusqu'à presque droit sans quoi j'ai l'impression de n'être qu'à moitié éveillé.

Donc, comment garde-t-on son esprit de zazen en faisant autre chose? De la même façon dont on fait zazen: lorsqu'on s'aperçoit qu'on dérive, revenir à la bonne posture. Quand on se retrouve en train de dériver, revenir à la bonne posture encore. Au bout d'un moment, cela devient une habitude et on n'a même plus à y penser.

Dans son commentaire du Sûtra du Coeur, Dôgen dit: "Il existe quatre formes de prajñâ dans la vie de tous les jours: quand on marche, quand on est debout, quand on est assis et quand on s'étend. la prajñâ est sagesse intuitive. Donc, pour Dôgen, la vie toute entière est sagesse, elle toute zazen. Que nous l'observions ou pas n'a guère d'importance.

C'est bon? C'est bon.

Là, je vais faire autre chose!

(Blog de Brad Warner du 24 octobre).

vendredi 23 juillet 2010

Pratique estivale

Pendant l'été, les activités de Dogen Sangha Montpellier continuent.
Tous les mardis à 19 heures et les jeudis à 19h30.
12 rue Doria, Montpellier (les Arceaux).
Tél: 0678 452 742

vendredi 2 avril 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

QUATORZE

Un jour, maître Kyozan Ejaku demanda au maître Isan Reiyu du mont Isan dans le district de Tan: Lorsque des centaines, des milliers et des dizaines de milliers d'événements me tombent dessus tous en même temps, que puis-je faire?

Isan Reiyu: Le bleu est une autre couleur que le jaune.Ce qui est long est différent de ce qui est court. Tous les êtres ont leur situation dans l'Univers. Ils ne s'intéressent pas à nous.

Maître Kyozan se prosterna devant le maître.

Commentaire du vieux Gudo

Kyozan Ejaku demande quelle attitude il faut adopter lorsque d'innombrables problèmes ou événements nous tombent dessus tous en même temps. Cette question indique une attitude qui est trop subjective, de sorte que maître Isan y répond de façon objective.

Le bleu est différent du jaune, le long du court.Ce sont là des faits objectifs dans le monde réel. Ils n'ont aucun intérêt à nous aider ou à nous faire du tort. Qui plus est, toutes choses et phénomènes ont leur propre place ou situation dans l'Univers.

Inutile de nous tracasser pour les événements du monde. Nous devons nous en occuper de façon réaliste lorsqu'ils ont lieu. Si nous traitons le problème auquel nous sommes confrontés à cet instant, nous pourrons ensuite nous occuper du problème suivant. Ainsi, nous pourrons les résoudre tous un par un. Il n'y a pas d'autre moyen.

samedi 27 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

TREIZE

Un jour, un moine demanda au maître Tosu Daiso du district de Jo : Comment c'est quand la lune n'est pas encore ronde?
Maître Tosu répondit : La lune avale deux ou trois lunes.
Le moine dit : Qu'en est-il quand elle devient ronde?
Maître Tosu répondit : Elle en vomit sept ou huit.

Commentaire de maître Nishijima

Ce kôan traite de la relation entre les concepts et les choses concrètes. Avant que nous ne voyions la différence entre les concepts et la réalité, nous tendons à croire que les concepts sont eux-mêmes réels. Après avoir remarqué cette différence, nous pouvons accepter de nombreuses représentations conceptuelles d'une réalité qui va au-delà de toutes ces représentations.

Comment c'est quand la lune est pas encore ronde? La pleine lune a souvent symbolisé l'état d'éveil ou la réalité ultime. Maître Tosu Daido (Tosu Jisai dans le texte) dit que la lune du concept "lune" en avale deux ou trois réelles; c'est-à-dire que le concept n'est pas la même chose que la vraie lune. La complexité et la nature en perpétuelle mutation de la lune réelle est simplifiée et obscurcie par le concept "lune".

Et qu'en est-il lorsque la lune devient ronde -- après qu'on ait fait directement l'expérience de la réalité? Alors, la lune réelle recrache de nombreux concepts différents qui avaient tenté de décrire quelques uns de ses aspects. Celle-ci, dans la totalité de son caractère variable, changeant instant après instant, transcende les sept ou huit "lunes" conceptuelles.

jeudi 25 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

DOUZE

Maître Tôzan Ryôkai du district d'In prêcha à l'assemblée: Quand nous avons compris par expérience ce que sont les bouddhas ascendants, alors nous pouvons nous parler.
Un moine demanda alors: De quelle sorte de "parler" s'agirait-il ?
Tôzan Ryôkai répondit: Par exemple, quand un moine parle, il ne peut pas écouter.
Le moine rétorqua: Pouvez-vous écouter, dans ces circonstances, maître?
Tôzan répondit: Quand je ne parle pas, je puis écouter.


Commentaire de maître Nishijima:

Une fois qu'ils ont réalisé la vérité, les gens poursuivent leur pratique bouddhiste habituelle ainsi que les tâches de leur vie quotidienne. C'est ce que signifie l'expression "bouddhas ascendants".

Maître Tôzan voulait exprimer ou démontrer les bouddhas ascendants à ses disciples. Le moine était intéressé par la nature des discussions qui auraient lieu après qu'ils auraient eux-mêmes fait l'expérience de l'état de bouddha ascendant.

Il croyait qu'une telle discussion entre bouddhas devrait forcément être très sublime et mystique. Mais le maître l'a libéré de cette idée fausse. Ce ne sont que discussions ordinaires, a-t-il dit. "Lorsqu'un moine parle, il ne peut pas écouter." Quoi de plus ordinaire et pratique?!

Cependant, le moine s'est dit que le maître, de par sa profonde sagesse, ne devait sûrement pas être limité par des aspects aussi ordinaires. Encore une fois, maître Tôzan lui dit simplement: "Quand je ne parle pas, je puis écouter." Rien d'étrange ou de mystérieux, ici. Il en va de même dans la vie d'un bouddha ascendant. C'est simple, ordinaire et direct, mais les gens aiment tellement se donner des images ou des idoles qu'ils puissent vénérer, plutôt que de poursuivre leur propre pratique, qui peut parfois paraître trop ennuyeuse et ordinaire.

Cette histoire est un seau d'eau froide pour ceux qui se sont laissés intoxiquer par une vision romantique du Zen.

mercredi 24 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

ONZE

Maître Joshu Jushin prêchait à une grande assemblée: Si nous sommes ne fut-ce qu'à peine conscients du bien et du mal, nous perdons complètement l'esprit du Bouddha. Quelqu'un a-t-il à redire à cela?
Un moine s'avança et frappa le jisha du maître (son assistant personnel, ou secrétaire) en disant : Pourquoi ne répondez-vous pas au maître?
Le maître rentra immédiatement dans ses appartements. Après quoi, le jisha lui demanda de lui expliquer : Le moine qui m'a frappé avait-il compris ce que vous vouliez dire?
Joshu Jushin répondit: La personne assise pouvait voir la personne debout. Et la personne debout pouvait voir la personne assise.

Commentaire de maître Nishijima:

Maître Joshu dit que même une légère conscience du bien et du mal perturbe notre stabilité. C'est notre esprit qui discrimine entre ce qui est bien et mal. Cette capacité à diviser, discriminer et analyser est une part essentielle de notre vie quotidienne, mais elle est incapable d'appréhender directement la réalité. L'esprit du Bouddha est un état dans lequel nous appréhendons directement la réalité et il nous est donc nécessaire de transcender toute discrimination. Cette idée conduit de nombreuses personnes à des conclusions fausses. Elles en tirent une image très bizarre de ce que serait une personne qui vit dans un tel état.

Pour illustrer ce point, on peut indiquer la différence qui existe entre un bébé et un bouddha. On peut dire que tous deux vivent dans un état exempt de notions abstraites du bien et du mal. Cependant, le bébé, lui, le peut parce qu'il n'a pas encore développé son esprit discriminant rationnel, alors qu'un bouddha a réalisé que l'essence n'est pas juste de savoir ce qui est bien ou mal, mais simplement de faire le bien et de ne pas faire le mal.

La personne qui voit la réalité, qui vit dans le même état que le Bouddha fait le bien à partir du noyau le plus profond de son être; non pas en suivant une liste de vertus écrite dans un livre, mais en suivant simplement la loi de l'Univers.

Maître Joshu Jushin demande si quelqu'un a quelque chose à dire sur la conscience qui va au-delà du bien et du mal. Comme le langage est lui-même basé sur cette discrimination, on pourrait penser que le maître donne une tâche impossible à ses étudiants.
Comment éviter cette contradiction? Le moine dans cette histoire choisit d'y répondre par sa propre action réelle. Le jeune moine qui a été choisi comme assistant personnel du maître n'a pas encore enraciné son bouddhisme dans la réalité. Il est donc incapable de répliquer au défi du maître, de sorte que l'autre moine donne à la question abstraite du maître un supplément consistant en quelques claques bien concrètes du second point de vue (matériel).
Le comportement de ce moine est en soi une réponse à la question de maître Joshu. C'est une démonstration concrète de l'esprit qui agit correctement sans discrimination, selon le besoin de la situation réelle.

Dans la troisième phase du kôan, le jisha veut comprendre quels sont les sentiments réels du maître sur l'action du moine qui l'a giflé. Cette question est sincère; c'est une question qui vient de son expérience réelle et non pas juste une participation à un jeu philosophique.

Dans la réponse que lui fait maître Joshu, l'expression "la personne assise" fait référence à lui-même (le maître) et "la personne debout" renvoie à l'autre moine. C'est ainsi que le maître affirme la compréhension du moine. Ils ont pu se voir l'un l'autre très clairement. Leur compréhension du Bouddhisme était la même.

dimanche 21 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

DIX

Un jour, un moine demanda au maître Seigen Gyoshi : Quelle était l'intention de maître Bodhidharma lorsqu'il se rendit d'Inde en Chine?

Seigen Gyoshi répondit : Il a juste agi tel qu'il était.

Le moine dit : Pourriez-vous me répéter ce que vous venez de me dire en des termes que je puisse comprendre?

Seigen Gyoshi lui dit : Venez par ici.

Le moine s'approcha du maître.

Seigen Gyoshi lui dit : Rappelez-vous clairement de ceci!


Commentaire de Nishijima rôshi:

La première question du moine était un standard chez les étudiants bouddhistes : on demandait pour quelle raison Bodhidharma était venu en Chine pour apporter les enseignements bouddhiques. La question porte en réalité sur le but fondamental de la vie bouddhique. Maître Seigen Gyôshi dit que le comportement de Bodhidharma était juste ce qu'il était. Il faisait ce qu'il faisait. Son comportement était un simple fait historique, qui suivait les circonstances de son temps et le propre caractère de Bodhidharma.

Certes, on peut trouver du sens et de l'importance aux actions de Bodhidharma, mais en réponse aux questions du moine, le maître choisit de souligner le simple fait objectif du comportement de Bodhidharma.

Le moine n'a pas compris cette réponse et a voulu une explication plus détaillée, le maître lui demande alors de se lever de se rapprocher de lui. Alors qu'il fait cela, le maître lui dit : "Rappelez-vous clairement de ceci!".

L'intention du maître est ici d'amener le moine à oublier ses abstractions un moment, et de se contenter de remarquer la réalité de cette simple action. Juste marcher, juste agir naturellement en réaction aux exigences réelles de la situation. Voilà pour quelle raison Bodhidharma a quitté l'Inde pour la Chine. Voilà quel est le coeur des enseignements qu'il a transmis.

samedi 20 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

NEUF

Maître Obaku quitta un jour le mont Obaku, y laissant ses disciples, et se rendit au temple Dai-An. Il se mêla aux autres travailleurs et fit le ménage de la salle du Bouddha et de la salle de conférences.

Un jour, le premier ministre Haikyu se rendit au temple pour brûler de l'encens. Un shuji (un des officiers du temple) le reçut.

Le premier ministre, en voyant un portrait sur un mur, de manda : Quel personnage est-ce là?

Le moine répondit : C'est le portrait d'un révérend moine.

Le premier ministre dit : Je puis voir le portrait, mais où est le révérend moine?

Aucun des moines ne sut répondre à sa question.

Le premier ministre demanda : Y a-t-il des hommes de zazen dans ce temple?

Le moine répondit : Il y a un moine qui est venu travailler au temple récemment. Il pourrait être un homme de zazen.

Le premier ministre dit : Pourriez-vous me l'amener, que je puisse lui poser la question?

Les moines partirent immédiatement à la recherche de maître Obaku. En voyant ce dernier, le premier ministre eût l'air heureux et dit : Juste à l'instant, j'avais une question , mais aucun des moines n'arrive à y répondre. Je voudrais que vous répondiez à leur place, et me donniez une parole qui pourra changer ma vie.

Maître Obaku lui dit : Monsieur le Premier Ministre, veuillez me poser votre question.

Le premier ministre la lui répéta.

Le maître cria très fort : Monsieur le Premier Ministre!

Le premier ministre lui répondit.

Le maître demanda : Où êtes-vous?

Le premier ministre en fut éveillé, comme s'il avait reçu une perle provenant du noeud dans les cheveux du Bouddha Gautama.

Il dit : Mon maître est vraiment un révérend moine.

Puis il ré-invita Obaku à ouvrir le temple.


Commentaire de Nishijima roshi

La question du premier ministre "Je puis voir le portrait, mais où est le référend moine?" sépare le portrait de ce qu'il représente -- la représentation abstraite que fait le portrait du corps physique du moine représenté. La question désigne la différence entre les points de vue idéaliste et matérialiste. En "répondant"à la question, le maître rappelle le premier ministre d'une voix forte. Il s'agit là d'un fait concret, d'un son physique réel et ramène l'attention sur le second point de vue, qui est concret.

A la réponse du premier ministre, maître Obaku lui demande alors "Où êtes-vous?", ce qui est centré sur l'endroit réel, la situation réelle dans laquelle ils sont impliqués. Cette question ouvre les yeux du premier ministre à la réalité de la situation telle qu'elle existe réellement à cet endroit-même. La distinction entre le portrait, ou l'idée, et ce qu'il représente a été transcendée. Il n'y avait pas deux choses : l'image de quelque chose et ce à quoi faisait référence cette image; il n'y avait qu'une seule réalité.

Le premier ministre avait trouvé le révérend moine. Diriez-vous que maître Obaku était ce révérend moine? Qu'en est-il du premier ministre? Ne pourrions-nous pas également dire qu'il était lui-même le révérend moine de notre histoire? Peut-être bien que ce révérénd moine avait trouvé son propre véritable soi?

Et qu'en est-il de vous dans vos vies? Vous avez sans nul doute vue de nombreux tableaux ou soutenu de nombreuses idées sur ce à quoi devrait ressembler une révérende personne. Mais sauriez-vous trouver cette personne dans la réalité, dans votre propre vie? Telle est la véritable tâche d'un bouddhiste.

vendredi 19 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

HUIT

Maître Baso Do-itsu de Kozei dans le district de Ko servit de jisha (secrétaire au maître Nangaku Ejo et en reçut intimement le sceau de l'esprit du Bouddha Gautama. Il vécut au temple Denpo constamment assis en zazen et fut le plus remarquable des disciples de maître Nangaku. Ce dernier savait que Baso montrait d'exceptionnelles qualités dans l'étude du Bouddhisme.

Maître Nangaku alla trouver Baso et lui demanda : Or donc, grand moine, quelle est votre intention quand vous pratiquez zazen?

Baso Do-itsu lui répondit: Je veux devenir un bouddha.

Nangaku Ejo ramassa un morceau de tuile et se mit à le polir sur une pierre, face à l'entrée de la hutte de Baso.

Baso Do-itsu dit: Maître, que faites-vous là?

Nangaku Ejo répondit: Je polis cette tuile pour en faire un miroir.

Baso Do-itsu dit:Comment pensez-vous faire un miroir en polissant une tuile?

Nangaku Ejo répondit: Comment pouvez-vous penser devenir un bouddha en vous pratiquant zazen?

Baso Do-itsu dit:Que faudrait-il donc faire?

Nangaku Ejo répondit: Lorsqu'un homme voyage en voiture, si la voiture n'avance pas, que doit-il faire? Frapper la voiture ou frapper le boeuf qui la tracte?

Baso Do-itsu ne sut que répondre.

Nangaku Ejo enseigna en plus: Apprendre zazen, c'est apprendre que vous êtes un bouddha en zazen. Lorsque vous apprenez zazen, c'est différent du comportement quotidien, tel s'asseoir ou se coucher. Cependant, lorsque vous apprenez que vous êtes un bouddha en zazen, ce bouddha est au-delà de toute forme fixe.

Nangaku Ejo dit: Dans l'Univers, il ne faut pas préférer le bien ou le mal à l'instant présent. Lorsque vous pratiquez l'être bouddha en zazen, vous vous débarrassez inévitablement du concept de bouddha. S'attacher à la forme de s'asseoir, c'est ne pas avoir compris parfaitement le principe de zazen.

En entendant cet enseignement du maître, Baso se sentit comme s'il avait bu un doux nectar.

Citation:
Commentaire de Nishijima roshi

On interprète en général ce kôan dans le sens qu'il ne serait pas possible de devenir un bouddha juste en pratiquant zazen. Mais l'interprétation de maître Dôgen est assez différente. C'est l'idée de devenir intentionnellement qu'il attaque. Lorsqu'une personne est assise en zazen, elle est d'emblée un bouddha. Elle ne peut pas re-devenir un bouddha. Le polissage n'est pas la fabrication d'un miroir, elle n'est que l'action de polir -- l'action d'un bouddha.

Qu'est-ce que cela veut dire qu'on est un bouddha lorsqu'on est assis en zazen? Assis en zazen, nous faisons directement face à la réalité. Nous affrontons nos pensées, nos émotions et l'inconfort (physique et mental). Nous constatons également que la réalité est bien davantage que des pensées ou que le corps.

Voilà qui est difficile à observer, en particulier pour les débutants. Lorsqu'ils sont assis, ce qu'ils ressentent habituellement est douleur et ennui, ce qui s'éloigne beaucoup de l'image idéalisée qu'ils se font de l'Eveil ou de la bouddhéité. Cependant, cette souffrance et cet ennui sont leur réalité.

Au cours de notre vie quotidienne, nous faisons de grands efforts pour échapper à cet aspect de la réalité ou pour le balayer sous le tapis. En zazen, nous l'affrontons directement. On ne peut y échapper; il faut le vivre et en faire l'expérience. La réalité n'est pas que souffrance et ennui, il existe bien d'autres aspects de la réalité différents et bien plus profonds encore. On les affronte eux-aussi en zazen, mais on les affronte tels qu'ils surgissent naturellement d'eux-mêmes.

Les images que notre intellect s'est formé de l'éveil ne pourront en aucun cas accélérer ce processus. L'intellect lui-même n'est rien d'autre qu'un mince couche superficielle à la surface d'un océan de la réalité du corps/esprit qui est bien plus profond.

Maître Baso demande ensuite ce qu'il doit faire et maître Nangaku se sert de la parabole du char à boeufs. Si le boeuf est rétif, on peut le faire avancer en le frappant, mais si la roue du char est coincée, on pourra battre le boeuf tant qu'on voudra, cela ne fera pas avancer la voiture. Nous devons être attentifs à la réalité de la situation et ne pas projeter nos idées préconçues dessus.

Le boeuf représente l'esprit ou les facteurs mentaux. Le char représente le corps ou les facteurs matériels. L'idéaliste ne pense qu'à aiguillonner le boeuf. Il ignore le char, jusqu'à ce que, peut-être, un jour celui-ci perde une roue et le renverse dans la boue.

Le matérialiste ne pense qu'au char. Il le veut peut-être joli et rapide, ou encore le décorer d'or et de pierres précieuses tout en laissant le boeuf mourir de faim, de telle sorte que son beau char ne puisse plus bouger.

Zazen est la pratique du corps/esprit, de l'être tout entier. Le bouddhiste tend à être à la fois le boeuf et le char.

Maître Nangaku poursuit en expliquant la différence entre Zazen et le comportement quotidien. Il explique ce que signifie apprendre zazen : c'est-à-dire apprendre que nous sommes un bouddha en zazen. Il insiste sur la différence entre zazen et le comportement ordinaire, que sont par exemple s'asseoir et se coucher. En quoi est-ce différent? Dans notre vie de tous les jours, nous sommes habituellement liés par des pensées. Nous avons du mal à voir la réalité à cause de ces pensées. En zazen, on coupe à travers les nuages de pensées qui obscurcissent le paysage.

D'autre part, zazen est également différent de nos états de relaxation habituels, en ce qu'il maintient une certaine tension physique et une certaine attention mentale. Maître Nangaku veut établir cette distinction entre zazen et notre vie de tous les jours parce qu'il y avait, et qu'il y a encore, des bouddhistes qui soutiennent que la conduite de notre vie quotidienne n'est pas différente de zazen. Et il est vrai qu'ils sont la même chose en ce qu'ils existent tous deux dans la réalité elle-même, mais au cours de notre vie quotidienne c'est bien plus difficile, et pour la plupart des gens, impossible, de voir avec clarté la réalité.

En zazen, nous sommes assis dans la réalité et en faisons directement l'expérience d'une façon qui ne se produit que bien rarement dans notre vie de tous les jours. Celle-ci se trouve progressivement modifiée par cette expérience. Quand nous sommes assis en zazen, nous sommes des bouddhas. Un bouddha en zazen n'a pas de forme fixe. Il peut être grand et blond, petit et gros, cela peut être un athlète, une vieille femme, un ado. De plus, un bouddha en zazen a plusieurs états: paisible, serein, distrait, ennuyé, joyeux, etc.

Il n'existe pas d'état unique qu'on pourrait pointer du doigt et dire, "Voilà ce que tu cherches. Lorsque tu auras atteint cet état, tu auras atteint la bouddhéité". De telles idées reçues ne sont que des images dans notre cerveau. Il n'y a pas de forme finie pour un bouddha. Chaque personne assise en zazen possède sa propre forme. C'est ainsi qu'on peut dire que Zazen est orné des formes infinies du bouddha.

Maître Nangaku dit ensuite à Baso de ne pas préférer le bien ou le mal à l'instant présent. Au cours du flash instantané de la réalité, ni le bien ni le mal n'existent. Il n'y a ni de bouddhas ni de non-bouddhas. Dans la pratique réelle de zazen, on ne trouvera aucun "bouddha"; nos concepts de bouddha ont été laissés derrière et nous sommes libres de nous asseoir dans la réalité elle-même. Nous sommes libres d'être des bouddhas.

Si nous nous attachons à la forme physique de s'asseoir, par exemple en nous concentrant sur la respiration ou en encourageant une attention physique constante, nous n'aurons pas compris que zazen, c'est s'asseoir dans l'unité du corps-et-esprit, l'état où on ne met aucun accent sur le mental ou sur le physique.

jeudi 18 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

SEPT

Maître Beiko de la ville de Keicho dit à un moine d'aller poser la question suivante à maître Kyozan Ejaku : Est-ce qu'un homme qui vit dans l'instant présent a besoin de l'Eveil ou pas?

Maître Kyozan Ejaku répondit: Il serait faux de dire qu'il n'y a pas d'Eveil, mais je ne puis éviter de tomber dans la conscience duelle.

De retour auprès de maître Beiko, le moine rapporta ce que maître Kyozan avait dit.

Maître Beiko confirma vigoureusement les paroles de maître Kyozan.

Citation:
Commentaire de Nishijima rôshi

"Tomber dans la conscience duelle" signifie entrer dans l'état où notre conscience est divisée. Dans cet état, il y a un "je" qui regarde, que certains kôans appellent la "seconde personne". Il s'agit là du mode sujet-objet d'être au monde, qui est, de par sa nature propre, partiel; il ne recouvre pas la totalité de la réalité. Lorsque nous agissons, notre conscience s'unifie et nous cessons de percevoir la séparation entre sujet et objet.

Maître Kyozan dit que, même s'il ne peut nier qu'il existe pour lui un état d'éveil, il est tout aussi vrai que parfois il retombe dans une façon divisée de considérer le monde. Il s'agit là d'une réponse très réaliste et honnête. La vue idéaliste est que l'Eveil est soudain et complet. Qu'une fois que nous aurions gagné le grand prix spirituel de l'Eveil, nous deviendrions des surhommes spirituels ou des dieux, plus jamais troublés par les minables préoccupations de l'existence. Mais maître Kyozan soutient que, même si parfois nous faisons l'expérience de l'état d'éveil, il arrive aussi que notre conscience soit divisée.

mercredi 17 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

SIX

Un jour, un moine demanda à maître Roya Ekaku du district de Joshu: Il est dit que l'Univers est pur et montre sa forme originelle. Comment donc lui est-il possible de manifester les montagnes, les rivières et la terre?

Roya Ekaku répondit: L'Univers tout entier est pur et montre sa forme originelle. Comment donc lui est-il possible de manifester les montagnes, les rivières et la terre!

Citation:
Commentaire de Nishijima roshi:

Maître Roya répond à la question du moine en répétant sa question. Mais sa répétition est rhétorique. Il dit en effet qu'il n'est pas possible à l'Univers de manifester les montagnes, les rivières et la terre car il est pur et montre sa forme originelle. Les montagnes, les rivières et la terre sont des concepts et des idées qui servent à décrire l'ineffable réalité de l'Univers. Celle-ci est toujours pure et montre sa forme originelle.

D'un autre côté, on peut aussi dire que la forme originelle et la pureté de l'Univers ne sont rien d'autre que les montagnes, les rivières et la terre. Les quatre philosophies peuvent nous permettre d'élucider ce kôan.

Dans la première phase, nous avons une assertion bouddhique idéaliste, selon laquelle l'Univers est pur et montre sa forme originelle.

La question du moine est dans la seconde phase. Il ne peut voir la pureté de l'Univers ni sa forme originelle. Tout ce qu'il voit, ce sont les montagnes, les rivières et la terre. Ceci est le point de vue matérialiste.

La réponse de maître Roya est à situer dans la troisième phase, qui est une synthèse des deux points de vue précédents. Les montagnes, les rivières et la terre n'existent pas: ce ne sont que des étiquettes qui tentent de décrire ce qui est, en fin de compte, au-delà de toute description et qui est la forme originelle de l'Univers pur. Cette forme originelle n'est pas une vague idée ou un esprit qui flotterait quelque part dans l'espace. Ce n'est rien d'autre que la réalité elle-même. Ce sont les montagnes, les rivières et la terre.

La quatrième phase est la réalité elle-même. On peut la voir comme pure et comme forme originelle de l'Univers, ou bien comme montagnes, rivières et terre; mais en définitive, elle se situe au-delà de toute description de ce genre. On doit la vivre directement. Et la pratique qui permet de vivre directement la réalité s'appelle Zazen.

mardi 16 mars 2010

Shinji Shôbôgenzô, le recueil de kôans de maître Dôgen

CINQ

Un laïc du nom de Ho-on du district de Jo demanda à maître Sekito: Quelle sorte de personne est indépendante de toutes choses et de tout phénomène?

Maître Sekito lui couvrit la bouche de sa main.

A cela, le laïc réalisa la vérité clairement et soudainement.

Une autre fois, il posa la même question à maître Baso Do-itsu.

Ho-on lui dit: Quelle sorte de personne est indépendante de toutes choses et de tout phénomène?

Maître Baso Do-itsu répondit: Je vous répondrai lorsque vous aurez bu toute l'eau de la rivière Seiko d'une seule gorgée.

La laïc réalisa la vérité en entendant ces paroles.

Commentaire de Nishijima roshi

"Une personne indépendante de toutes choses et de tout phénomène" signifie quelqu'un qui a atteint la vérité bouddhique. Ho-on demandait au maître de lui décrire l'état d'une personne qui a transcendé le monde des choses relatives et des phénomènes. Il avait posé cette question et s'apprêtait à se rasseoir pour entendre la réponse du maître.

C'est alors que Sekito lui avait placé la main sur la bouche. Ce qui représente un glissement de la sphère idéaliste ou mentale de la question au monde tangible d'une main et d'une bouche réelles. Ho-on avait posé sa question et s'était soudain retrouvé dans l'incapacité de parler, tout comme il était impossible au maître de rien dire qui put décrire l'état d'éveil. La passage soudain du monde de l'intellect au monde matériel a permis à Ho-on de voir clairement les deux aspects de la réalité. Il avait pu ainsi découvrir la nature d'une personne qui est indépendante de toutes choses et de tout phénomène.

La seconde partie du kôan est similaire. Le laïc pose sa question et le maître la lui renvoie sous la forme d'une demande tout aussi impossible. Celle-ci montre la nature de la première phase: il nous est facile d'imaginer d'avaler l'eau de la rivière Seiko en une seule gorgée, mais le faire en réalité est tout autre chose.

Il nous est facile de créer l'image d'une personne éveillée ou d'élaborer des théories ou des opinions complexes, mais vivre effectivement dans la réalité, s'asseoir effectivement sur son coussin et pratiquer est d'un tout autre ordre.

mercredi 10 février 2010

Jour supplémentaire

Bonjour

Pour ceux et celles que cela intéresserait, j'ai décidé d'offrir une soirée supplémentaire de zazen, le mardi soir.

Tout comme la soirée du jeudi soir, la pratique commencera à 19 h 00 pétantes. Arrivez au moins cinq minutes à l'avance.

J'avais mis 19h30, comme pour le jeudi, mais j'ai décidé de ramener cela à 19 heures, pour diverses raisons.

La participation est gratuite.

Mxl

dimanche 10 janvier 2010

Réflexion

J'ai pensé vous offrir une réflexion personnelle sur le Bouddhisme, étude et pratique.
Pour commencer, je dirai qu'à l'observation, il me semble que le Bouddhisme en France (parlons de ce
que nous connaissons, non?) tend à pécher par excès d'idéalisme, ce qui serait un comble pour une
"philoligion" comme le bouddha-dharma... Idéalisme! Quel gros mot! Chacun sait que le bouddha-dharma n'a rien d'un idéalisme! De fait, ma lignée d'enseignement nie vigoureusement que cela puisse être le cas. Pour les intéressés,
je rappelle que toutes les traditions philosophiques du monde se rattachent soit au courant idéaliste,
soit au courant matérialiste. Mais dans ma tradition d'enseignement, nous enseignons que le Bouddha-Dharma n'est ni l'un ni l'autre,
mais qu'il se fonde sur l'action, qui est en quelque sorte l'interface entre le monde des idées, et celui de
la matière (qui n'est autre que le résultat de nos sensations physiques).

Mais, à l'opposé, je vois que tout le monde, en parlant du Bouddhisme parle de grands principes, tout
le monde récusant avec horreur toute possibilité que le Bouddha-Dharma puisse être enseigné et
appliqué de façon limitée, lorsqu'on a affaire à des gens qui ne sont pas prêts à aller plus loin. Gradualisme!! Bon. Les travaux de Bernard Faure semblent démontrer qu'il y a au moins un fort soupçon de
traficotage dans la façon dont cette polémique est parvenue jusqu'à nous. C'est donc peut-être pas la
peine de trop insister, dans ce cas. Depuis trop de temps, le Zen se vautre dans l'anti-intellectualisme, qui n'en est paradoxalement qu'un
autre, d'ailleurs. Et, faute de comprendre à quoi correspondaient certaines saillies anti-intellectuelles,
faites par des types qui en matière d'intellectualité étaient de grosses pointures, (je fais allusion aux
collections de kôans), on finit par ânonner bêtement des mots morts qui ne valent pas mieux que
n'importe quels autres mots morts. Les mots n'ont de sens que vivants, et c'est pourquoi je pense qu'il est temps que nous prenions
la mesure de la nécessité de leur assurer un terreau fertile, si nous voulons que les greffons fleurissent.
Et ce terreau, il faudra bien qu'il vienne de gens vivants, de personnes qui vivent, travaillent, vont et
viennent; jamais il ne pourra se constituer sur une seule élite desséchée, trop perdue soit dans un
ésotérisme de pacotille, soit dans une étude académique particulièrement riche au plan intellectuel,
mais détachée de la réalité du faire que se veut le bouddha dharma.