jeudi 20 juin 2019

Les quatre éléments et moi, de Brad Warner

Voici un nouveau texte de Brad Warner que je vous traduis.

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Les quatre éléments et moi
Publié par Brad le 20 juin 2019
(http://hardcorezen.info/the-four-elements-and-me/6376)












http://hardcorezen.info/the-four-elements-and-me/6376

Voici une question intéressante que j'ai reçue par courriel récemment :

Je pratiquais en suivant la respiration, et il m'est apparu que l'air que je respire est autant sinon plus "moi" que mes poumons. J'espère qu'il s'agit d'une supposition correcte.

Avec cette réalisation, j'ai tenté de comprendre les quatre éléments. Considérant l'interconnexion de toutes choses, il est facile de voir comment les êtres humains ont besoin de lumière et d'eau, tout comme les arbres, les écureuils, etc. Comment les quatre éléments s'insèrent-ils dans cette logique ? On dirait que l'air n'a nul besoin de l'oiseau ou que la terre n'a nul besoin du ver de terre. Celui-ci, d'autre part, a besoin de la terre, tout comme l'oiseau a besoin de l'air.

Peut-être est-ce là une chose où il faut pas faire intervenir la logique pour la comprendre ? Y a-t-il quelque livre que vous pourriez me recommander pour m'aider à comprendre ?


Voici ma réponse:

Je pense que les vers et les oiseaux sont un truc que produisent la terre, l'air et les autres éléments de la table périodique. Il n'y a rien dans un ver ou un oiseau -- pas plus qu'une personne -- qui n'ait un jour fait partie de la Terre ou de l'air ou de l'eau, etc. Il n'y a rien dans mon corps qui n'ait jamais fait partie de la Terre depuis sa formation il y a des milliards d'années.

Tous les éléments de ce corps ont été recyclés à travers d'innombrables êtres. Et avant qu'il y ait ce que nous appelons des "êtres vivants", les éléments constitutifs de mon corps faisaient partie de montagnes, de rivières, d'océans, et ainsi de suite. Peut-être que même ce que j'appelle erronément "ma conscience" a été recyclée de façon analogue. Elle traîne peut-être depuis aussi longtemps que tout le reste de ce dont je suis constitué.

Et la Terre fit jadis partie d'un nuage de gaz et de poussière géant, dont se sont formés le soleil et les autres planètes. Et ce nuage de gaz et de poussière fit jadis partie d'étoiles qui ont explosé il y a si longtemps que cela pourrait tout aussi bien être depuis toujours. Peut-être que ce que j'appelle "vie" et "conscience" ont toujours fait partie de ce truc. Il est sûr que le potentiel de vie et de conscience existait dans la prétendue "matière inerte" bien longtemps avant que nous soyons là pour tenter de les définir.

La vacuité est aussi une grande partie de ce que je suis. L'espace entre les atomes de mon corps est vaste en comparaison des atomes eux-mêmes. Les forces énergétiques qui tiennent ensemble ces atomes n'ont pas de forme physique. En dernière analyse, les atomes eux-mêmes sont fait d'énergie immatérielle. La forme est vacuité, et la vacuité est forme, comme le dit le Sûtra du Coeur.

Mais pourquoi font-ils ça? Puorquoi les éléments de la Terre — qui sont en dernier ressort les éléments de l'Univers — prennent-ils la forme d'êtres vivants ? Pourquoi prennent-ils la forme d'êtres humains ?

On pourrait penser qu'ils tirent un quelconque bénéfice de prendre la forme de vers, d'oiseaux, ou de nous. On pourrait penser qu'il y a une raison.

Je sais que la philosophie matérialiste considère que ce genre de choses n'apparaît que par le fait du hasard. Je sais aussi que cette vue est très populaire de nos jours. On dit souvent que la recherche scientifique ne soutient qu'une seule vue — qui est que la cause ultime de la vie, de l'univers et de tout le reste n'est autre qu'aléatoire. Et peut-être bien que c'est juste. Parce toutes les tentatives auxquelles j'ai assisté de trouver une cause différente finit par avoir l'air débile — comme dans le cas de la prétendue “science créationniste.”

Dôgen parlait d'une “foi profonde dans la cause et l'effet.” Il n'acceptait pas l'idée que quoi que ce soit se produise sans cause ou qu'une cause puisse manquer d'avoir un effet. Et pourtant, jamais il ne parle d'une “cause première” à la façon dont certains le font aujourd'hui. Peut-être a-t-il compris qu'il n'y a jamais de “cause première” ou que, si même il y avait quelque chose qu'on puisse appeler “cause première,” elle serait au delà de l'entendement humain.

Donc, peut-être est-il insensé de parler d'un “bénéfice” qu'obtiendraient la terre, l'air, l'eau et tous les autres éléments à se former en animaux, en plantes, et en personnes. C'est sans doute un concept trop humain pour s'appliquer aux éléments.

Je suis une extension de la Terre, et pourtant, je ne sais pas pourquoi la Terre a pris la forme de mon être. J'ai sans doute toujours été là, en tant que partie de la terre, de l'air, de l'eau etc. et voilà qu'une petite portion de tout cela apparaît en tant qu'être humain. Et que cet être s'imagine parfois risiblement en tant que créature indépendante. Cette blague !

Quoi qu'il en soit, si moi, portion de la terre, ne sait pas pourquoi moi (la Terre) m'a fait (Brad), il se peut que personne ne le sache. Il se peut bien que personne ne le sache.

Voici quelle est ma spéculation, pour ce qu'elle vaut. Ce qui n'est guère, à mon avis. Mais allons-y quand même. Peut-être bien que la Terre — et par extension l'Univers — cherche à se comprendre intellectuellement, et qu'une des façons d'y arriver est de prendre la forme de gens. Il y a peut-être d'autres formes d'êtres vivants ailleurs dans les vastes étendues de l'espace qui aident aussi l'Univers à apprendre à se comprendre. Et peut-être bien que certaines d'entre elles sont tout autant que nous dans l'illusion.

lundi 17 juin 2019

Bonjour

Il y a plus de quatre ans que je n'ai plus rien écrit sur ce blog, tellement je ne suis pas un écrivain. Parfois il m'arrive d'écrire, mais c'est généralement dans les trains, et c'est à la main avec de l'encre et du papier. Ensuite, il faudrait tout retranscrire, mais de retour à la maison, trop de distractions m'en empêchent. Et l'autre jour, j'ai retrouvé un livre de notes dans lequel j'avais quelques textes. Je me suis dit que j'allais en partager quelques uns.

Une des caractéristiques du Bouddhisme, c'est la profonde humanité de ses grands personnages.

Le Bouddha n'y échappe pas, qui reste profondément humain, avec des défauts et des travers, loin de l'être infaillible de la piété traditionnelle.

Mais cette idée ne plaît pas à tout le monde. Les personnes en quête de merveilleux, pour qui les lois naturelles de la physique doivent avoir des exceptions "exceptionnelles" veulent souvent à toute force croire que le Bouddha pouvait voler en l'air, transporter des foules de l'autre côté des fleuves, purifier l'eau boueuse par miracle, etc. Je ne veux pas dire qu'il était incapable de certaines des choses qui lui sont attribuées, mais disons, que je trouve plus raisonnable d'en douter, d'une part, et que de lui restituer ses éventuelles faiblesses, d'autre part, le rend certainement plus proche de nous. Car il est trop facile de s'absoudre d'accomplir le travail quand même ardu qui mène à la cessation de l'insatisfaction, en grandissant exagérément la personne qui y est arrivée.

Kapilavastu était une république dirigée par le clan Sakya, ce qui fait de Suddhodana un "roi" comme nous dirions "le chef". Le roi des Shakya était élu, ce qui a pu être déterminant dans la décision de son fils Siddharta de quitter la vie de famille. Le jeune homme avait reçu l'entraînement qui était celui d'un kshatriya, un guerrier, et savait mener un cheval, se battre à l'épée et tirer à l'arc. Ces données lui servirent souvent dans son enseignement. Mais il semble bien qu'il avait quand même des côtés de macho de base, arrogant sans même s'en rendre compte et condescendant envers les femmes.

Lorsqu'il établit le Sangha, il en exclut les femmes, et il fallut toute l'insistance de son épouse (ex-épouse), de sa tante (et mère adoptive) et de son cousin Ananda pour qu'il accepte enfin de changer d'idée. On le voit, il n'était pas infaillible, et pouvait reconsidérer une décision. On voit aussi que cette décision n'allait pas de soi, car elle déplut visiblement à une partie de ses disciples, et on peut certainement le déduire des éléments postérieurs qui accablent Ânanda, lui reprochant d'avoir été un licencieux, pour avoir arraché cette décision.

Il existe une façon paradoxale de trahir les maîtres, qui est de prétendre leur être fidèle. En s'attachant de façon excessive à la forme de ce qu'ils ont dit et de la manière dont il l'ont dit, on s'expose à trahir l'esprit de leur démarche, qui était que nous apprenions par leur exemple à nous libérer, point barre. Les maîtres (les vrais, s'entend) n'enseignent pas pour avoir des disciples autour d'eux. En général, ils s'en passeraient, plutôt. C'est leur voeu de libérer tous les êtres qui les contraint à accepter d'aider les autres à se libérer. Et si la personne n'a pas vraiment l'intention de se libérer, mais bien plutôt de changer de chaînes (passer de leurs vieilles chaînes rouillées a de belles chaînes exotiques, décorées et niellées), le maître risque fort de ne pas trop s'impliquer, parce que c'est du temps perdu : on n'aide jamais quelqu'un malgré eux.

On est toujours tenté par la fidélité à son maître. Maître Nishijima était quelqu'un de profondément humain, qui faisait (peut-être trop) facilement confiance. Cela entraînait parfois des moments de paranoïa où il se demandait s'il avait bien eu raison. Même si nous faisions totalement confiance à son jugement en matière de bouddhisme, ses opinions dans des domaines autres (par exemple, la politique) pouvaient nous laisser de marbre. C'est important, parce que nier ses défauts ne rendrait nullement service à sa mémoire, en le mettant au rang des dieux.

Il en va de même pour maître Deshimaru. L'aurait-on suivi s'il avait dit: "Ecoutez, je suis un gros nul, j'ai raté ma vie professionnelle et familiale, et j'ai fui le Japon parce que je n'en pouvais plus, mais faites-moi confiance, je vais vous enseigner la Voie de la Libération !" ? Alors qu'il est évident qu'il lui fallait, dans son cas, rater sa vie professionnelle et familiale pour pouvoir transmettre le Dharma.

C'est pourquoi nous devons manifester notre reconnaissance pour ceux qui nous transmettent la Lampe en reconnaissant ce qu'ils étaient réellement, et pas ce que nous aimerions pouvoir fantasmer sur eux... Surtout que je n'ai, à titre personnel, aucune, mais absolument AUCUNE envie qu'on fantasme sur moi.