Je vous poste ici un article de Brad Warner qui ma paraît intéressant: Karma collectif et bouddhistes conservateurs
mardi 26 octobre 2021
Karma collectif et bouddhistes conservateurs
vendredi 27 août 2021
Bodaisatta shishôbô (les 4 vertus fondamentales du bodhisattva)
Voici une bafouille que j'ai prononcée lors d'une sesshin en Belgique, la semaine dernière.
Après avoir lu aux participants un condensé du chapitre du Shôbôgenzô en question, j'ai ajouté les commentaires suivants:
Dôgen écrit:
"Les quatre éléments des relations sociales d'un bodhisattva. Le premier est le don, le second la parole bienveillante, le troisième est l'esprit secourable, le quatrième est la coopération."
Je commente ainsi:
Le don doit être gratuit. C'est-à-dire qu'il n'attend rien en retour. Néanmoins, il appelle et attend le contre-don et la gratitude. Ce qui peut paraître paradoxal: on doit donner sans rien attendre en retour, mais qui reçoit doit quand même donner en retour!
En fait, c'est que dans le grand jeu social du don et du contre-don, prendre sans rien donner en retour n'est que du parasitage. Dans toute société normale, les parasites finissent, un jour ou l'autre par le payer. Sinon, c'est toute la société qui finit par se déliter. En fait, ceux/celles qui prennent toujours sans jamais rien donner ne profitent jamais de ce qu'ils prennent, car pour eux, la valeur tient dans le prix qu'on paye pour les choses: les choses gratuites sont donc sans valeur.
En fait, il y a des gens qui sont contraints de changer constamment de cercle d'amis, voire de ville, à force de toujours vouloir prendre sans jamais rien rendre. Le don du Dharma, pour ces raisons, n'a de valeur qu'en fonction de ce qu'on donnera en échange.
Cela dit, on n'est pas obligé de nécessairement rendre à qui a donné. Si votre voiture est en panne de batterie et que vous demandez l'aide de passants pour la pousser et la faire démarrer, vous ne serez jamais en mesure de leur rendre la pareille. Mais vous pouvez faire comme les Napolitains avec le "café suspendu". Cette institution consiste en ce qui suit: vous allez au café, et commandez un café. Vous en payez deux et dites que le second est "suspendu". Si un mendiant vient après vous, et s'enquiert de savoir s'il y en a un, on le lui donne. Ainsi, le don vole d'une personne à l'autre.
Dôgen dit, dans ce chapitre, que même le travail rémunéré relève du don. Mais, de toute façon, la bonne attitude est de donner sans en attendre de retour. Evidemment, s'il n'y en a jamais, on peut arrêter de donner à ceux/celles qui prennent sans rien donner en retour. Mais il est bon de penser que ceux/celles à qui on a donné, peuvent à leur tour donner à d'autres. Il n'est pas essentiel que le contre-don ne profite qu'au donateur. En fait, il vaut mieux qu'il soit circulaire, et c'est ainsi que le don revient à celui qui l'a fait en premier. (L'oeuf ou la poule???)
dimanche 11 juillet 2021
Ego
samedi 19 juin 2021
Comment je suis venu au zen
Un ami me demande, après que je lui aie raconté la chose, de faire l'effort de relater comment je suis arrivé à la pratique du zen. Effectivement, je supose que cela puisse être utile et je vais donc faire cet effort.
Mon maître, Nishijima rôshi, disait, tout comme maître Deshimaru, qu'il suffisait de s'asseoir et que tout se mettrait en place naturellement. L'observation des faits dans nos sociétés occidentales m'a amené à dissider, et fortement qui plus est.
Ce n'est pas qu'ils aient eu tort. En fait, et dans mon cas, c'est exactement ce qui s'est produit. Tout le cheminement qui était le mien, à partir du moment où je me suis mis sérieusement à la pratique, s'est mis en place, comme un puzzle dans lequel, par magie, toutes les pièces se mettraient d'elle-même à leur place.
Cependant, ce que j'ai vu m'a fortement entraîné à douter de la validité universelle de cette idée. J'en ai discuté avec Brad Warner, et je crois qu'il vaudra la peine que j'y revienne.
Mais pour autant, voici ce qu'a été mon cheminement. Déjà, ma mère s'intéressait à des trucs ésotériques, et dans sa bibliothèque, ce n'est pas les Lobsang Rampa et autres plaisanteries qui manquaient. Il y avait aussi les vies des maîtres zen par les époux Shibata, dont celle d'Ikkyû. Autant dire qu'il y avait déjà des semences, mais si je n'ai pas gardé une impression très forte de ces éléments.
Pour moi, les choses ont vraiment commencé lorsque j'ai entendu sur une émission littéraire (du même genre que "le Masque et la Plume" sur France-Inter) parler du livre de R.M. Pirsig, "Le zen et l'art de l'entretien de la motocyclette" (je passe sur le vrai titre de la version française, mauvaise et tronquée). Ce livre m'a passionné, et fait partie de ceux que j'ai souvent relu. A l'époque, il m'a réellement orienté vers le zen, et d'une façon subtile, vers les éléments les plus fondamentaux du zen.
Ensuite, un ami m'a recommandé de lire Alan Watts, le grand vulgarisateur anglais de D.T. Suzuki. Ce sont vraiment ses écrits qui m'ont le plus orienté vers le zen lui-même, et je lui suis presque reconnaissant d'avoir soutenu dans l'un d'entre eux que zazen était à éviter.
Au fil des ans et des lectures, mon intérêt a eu des hauts et des bas, se rencontrant ou se heurtant avec mes intérêts "spirituels". Souvent, certains éléments du bouddhisme me faisaient le rejeter brutalement après un premier intérêt. Un exemple typique de cela étant la "vérité de la souffrance". Comme je l'ai souvent entendu, encore récemment, l'idée de la "vallée de larmes" me ramenait bien trop au catholicisme que j'avais violemment rejeté.
vendredi 11 juin 2021
Yan Hui, également connu comme Yan Yuan, fut un philosophe chinois de l'état de Lu (521-481 av.notre ère.). C'était le disciple préféré de Confucius et il occupe le premier rang parmi les 72 disciples de Confucius. Yan Hui était né dans une famille pauvre, mais acceptait sa situation. Il était brillant, diligent dans ses études, et capable d'apprendre par analogie. Vu son bon caractère, Confucius en faisait souvent l'éloge. Yan Hui est mort à 40 ans et finit par être vénéré parmi les Quatre Sages.
Un jour, Yan Hui eut une discussion avec Confucius: “Je crois qu'on ne doit pas avoir honte d'être pauvre. On doit connaître sa place, peu importe son origine. Même si on ne bénéficie pas d'un statut social élevé, on ne se sent pas inférieur et on ne se comporte pas de façon honteuse devant des aristocrates. On ne se construit pas une réputation en se donnant des airs, mais on soutient plutôt ses amis dans l'adversité tout au long de sa vie. Que pensez-vous de prendre cela comme règle de vie? ”
Confucius répondit: “Cela serait bon. Si on peut se contenter malgré ses origines pauvres, sans se sentir inférieur devant des aristocrates, on n'aura pas d'autre désirs. Quoique ne bénéficiant pas d'une position sociale élevée, on ne se considère pas en dessous des aristocrates et on peut se comporter naturellement, humblement et poliment. On peut traiter tout le monde correctement et sans prendre des airs, et du coup, les gens vont vous respecter.
Ne s'isolant pas des groupes sociaux, on peut se faire des amis, on apprécie la loyauté, et on soutient ses amis dans l'adversité. Ne parlant pas trop et n'en faisant pas trop, on peut unifier les choses efficacement. Quand on peut faire ainsi, même les anciens sages ne faisaient pas mieux.” Confucius vit que les actions de Yan Hui correspondaient vraiment à ses paroles. Il en faisait souvent l'éloge et lui faisait toute confiance.
Un jour, Confucius se trouva pris quelque part entre l'état de Chen et celui de Tsai, sans nourriture. Il n'avait pas mangé de sept jours et était épuisé. Pendant la journée, il ne pouvait que s'étendre et se reposer. Yan Hui rapporta du riz d'on ne sait où et se mit à le faire cuire.
Alors que le riz était presque prêt, Confucius vit Yan Hui en prendre dans la casserole et le manger. Une fois prêt, Yan Hui invita poliment Confucius à en manger. Confucius fit semblant ne pas avoir vu ce qui venait de se passer et dit: “Je viens juste de rêver des ancêtres.
Puisque le riz paraît propre, j'aimerais l'offrir en sacrifice aux ancêtres, et le manger plus tard.” Dans la culture chinoise, on ne peut pas offrir de la nourriture en sacrifice une fois que quelqu'un a commencé à en manger, sinon, ce serait manquer de respect pour les ancêtres.
Yan Hui répondit à la hâte: “Je vous prie de n'en rien faire. Il y a eu de la cendre de charbon qui est tombée dans la casserole et qui a taché le riz. Ç'aurait été dommage d'en jeter, je l'ai donc mangé.”
Confucius soupira et déclara à ses disciples: “Il faut se fier à se qu'on voit. Mais même lorsque les yeux voient réellement, ce n'est pas nécessairement la vérité. On fait confiance à son coeur, mais même le coeur n'est pas toujours fiable. Il faut nous rappeler que vraiment comprendre quelqu'un n'est jamais facile!”
Cet incident de “Yan Hui vole de la nourriture” a presque fait Confucius se méprendre sur son étudiant préféré. Après cela, il a compris cette vérité que "voire n'est pas nécessairement croire.” Même un sage pourrait se méprendre et douter de son disciple le plus fidèle. Heureusement, il sut comprendre la vérité et résoudre le malentendu.
On peut ne croire que ce qu'on voit. Néanmoins, ce que voient les yeux est très limité, car il y a tant de choses que les yeux humains ne peuvent voir. Ne jugeons pas aux apparences, mais considérons plusieurs angles pour comprendre l'ensemble du tableau. Si on ne voit les choses que d'une seule perspective,on aura des préjugés.
Nombreux sont ceux qui se méprennent sur les choses tout en soutenant en avoir été témoin. Ils sont donc hantés par ce malentendu et ressentent de la haine. Il en est même qui meurent avec des regrets qu'il ne réussissent pas à laisser derrière. Vaut-il vraiment la peine de se pourrir la vie à cause d'un malentendu?!
Translated by Sharon L and edited by Helen
vendredi 4 juin 2021
Libre arbitre
J'embraye sur une vidéo de Brad Warner qui parle d'un auteur du nom de Ramesh Balsekar qu'il cite, dans un texte où il parle du Bouddha, en disant (c'est Balsekar qui parle):
"Dans mon interprétation, ce qu'entendait dire le Bouddha, c'est que l'éveil, la totale réalisation, est que personne n'est un faiseur. Ni moi, ni l'autre n'enlève la souffrance. Ce qui explose la fondation de la paix, chaque fois que je l'ai. Et cette souffrance est l'énorme charge massive qu'on se transporte avec soi, une charge de honte et de culpabilité pour nos propres actions et de haine et de méchanceté pour celles des autres. Enlevez cette charge et vous n'aurez vraiment plus qu'à attendre qu'arrive la paix. Enlevez ce fardeau d'orgueil et d'arrogance pour vos bonnes actions, et de honte et de culpabilité pour les mauvaises, de haine et de malveillance pour les fautes des autres, enlevez ce fardeau et vous découvrirez que vous n'avez pas à chercher la paix. L'absence même de ce fardeau est la présence de ce que je cherche. (...)
Donc, selon mon concept, tout ce que n'importe quel chercheur spirituel peut avoir est juste ceci: ne jamais être mal à l'aise avec moi-même, ne jamais avoir à me haïr pour quoi que ce soit, ne jamais avoir à être mal à l'aise avec qui que ce soit, ne jamais avoir à haïr qui que ce soit. C'est tout. Si vous attendez de la réalisation quoi que ce soit de plus que cela, il vous faudra regarder ailleurs. Mon concept ne vous aidera pas."
Et (ajoute Brad), l'autre jour, deux personnes différentes m'ont envoyé un article du journal The Guardian sur le libre arbitre, et les différentes interprétations qui en sont faites. L'article était très intéressant, mais je crois que la personne qui a écrit l'article arrivait à ce sujet du libre arbitre contre le déterminisme d'un point de vue matérialiste. Et ce n'est pas que je veuille faire parler Nishijima à ma place, mais il me semble que son interprétation du libre arbitre était bien meilleure que ce que j'ai lu dans cet article, parce qu'il n'y venait pas par un biais matérialiste. Et je crois que ce qu'il aurait dit aurait été (je mets les mots dans sa bouche, mais je ne crois pas me tromper) que si on y vient par le biais du matérialisme, on doit absolument exclure toute possibilité de libre arbitre. Il ne peut PAS y avoir de libre arbitre dans une perspective matérialiste.
Si l'univers n'est que matière, et rien de plus, alors le libre arbitre n'y a pas sa place et vous pouvez le vérifier par vous-même. Et c'était d'ailleurs la conclusion du Guardian, dans l'article. Mais le matérialisme est incomplet et il ne comprend pas tout et, fondamentalement, l'argument du libre arbitre contre déterminisme est, chez Balsekar comme chez Nishijima, un peu similaire à celui du matérialisme contre l'idéalisme. Aucun des deux n'est la réponse. Le libre arbitre n'est pas la réponse, le déterminisme n'est pas la réponse. Le déterminisme est ce qu'on a lorsqu'on considère tout d'un point de vue matérialiste, et le libre arbitre est ce qu'on a lorsqu'on considère tout d'un point de vue idéaliste. Aucun des deux n'est la réponse correcte. Les deux sont illusoires.
L'autre chose que ne fait pas Balsekar (ce qui m'a un peu déçu) mais que fait Dôgen et aussi le bouddhisme, c'est que l'argument contre le libre arbitre, du moins contre le libre arbitre sans restriction, est aussi un argument très fort en faveur du comportement éthique. Parce que, si on se comporte de façon éthique, on n'a alors pas à avoir honte ou se sentir coupable (ou bien moins, en tout cas) et on n'a pas à concevoir de la haine pour les autres parce que cela fait aussi partie du comportement éthique qui est de ne pas haïr.
Donc, l'éthique est pour moi sérieusement importante, qu'on croie ou pas en le libre arbitre. L'argument pour l'éthique est alors super fort."
mercredi 7 avril 2021
Second degré
Quelques mois d'absence. Mais j'ai été occupé. Je sais, c'est pas une excuse, mais c'est comme ça. Na!
Le livre de Brad Warner, Sit Down and Shut Up, que j'avais traduit, vient d'être publié chez Almora. Précipitez-vous chez votre libraire. S'il vous plaît.
C'est une présentation très fraîche et dynamique de certains des chapitres du Shôbôgenzô de maître Dôgen. Je le recommande, mais je ne l'aurais pas traduit autrement!
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Je voulais parler aujourd'hui d'une notion qui m'est apparue ce matin. Je travaille à la rédaction d'un livre où je parlerais des obstacles qui se présentent aux pratiquants du zen, en particulier en France, et ce matin, il en est un qui est venu me frapper comme le manche d'un râteau oublié... (et qui n'a même pas la neige sous laquelle hiverner).
Les zenistes ont trop souvent oublié le sens du second degré. Voire de l'humour en général et en tout cas de l'auto-ironie qui reste, pour moi, un élément essentiel de la Voie. Toute la littérature des kôans est remplie de démonstrations d'un humour parfois très corrosif, et je comprends que certains se perdent en conjectures sur la signification profonde de ces histoires, s'ils insistent tant à les prendre au premier degré.
Bref, j'ai commencé cette réflexion en me rappelant l'air outragé d'une "zéniste" à qui je disais que j'étais un maître zen, puisque j'avais reçu la transmission, mais sur le ton de la dérision, parce que je trouvais la chose assez exagérée. Elle, n'a rien trouvé de mieux que de me balancer une insulte qui en était aussi une à mon maître. J'ai trouvé ça dommage.
Et puis, je me suis rappelé une anecdote rapportée par une connaissance, qui avait passé quelques années au dôjô de Nishijima rôshi, à Moto-Yawata, en banlieue de Tôkyô. Une japonaise habitant au dôjô lui avait prêté son vélo, mais comme elle en avait perdu la clef, il fallait scier le cadenas pour pouvoir l'utiliser. Sur les entrefaites, Nishijima sort, les voit, et leur demande ce qu'ils font. Hervé lui répond en rigolant qu'ils sont en train de voler le vélo. Plaisanterie qui échappe totalement à Nishijima qui se met à les gronder en disant que cela va à l'encontre du précepte etc., etc.
Les Japonais ne connaissent pas le second degré. C'est aussi simple que ça. Il s'agit d'un truc culturel, et souvent, j'ai eu l'impression que les personnes qui se mettent au zen, inconsciemment, en arrivent à prendre eux aussi cette mentalité. Est-ce par imitation du Japon? Par "esprit de samouraï"? On pourrait sans doute étudier le sujet, mais il n'en reste pas moins que ce phénomène est trop courant, et je crois, préjudiciable à une saine évolution des personnes, parce qu'elle interdit l'auto-ironie, qui est sans doute, de toutes, l'arme la plus puissante pour lutter contre les prétentions de l'ego, cette perception erronée qui place "je" à une place isolée par rapport à "tu" et à "il/elle".