vendredi 11 juin 2021

 Je republie ici un texte intéressant d'abord publié en chinois et traduit en anglais à cette adresse.

Yan Hui, également connu comme Yan Yuan, fut un philosophe chinois de l'état de Lu (521-481 av.notre ère.). C'était le disciple préféré de Confucius et il occupe le premier rang parmi les 72 disciples de Confucius. Yan Hui était né dans une famille pauvre, mais acceptait sa situation. Il était brillant, diligent dans ses études, et capable d'apprendre par analogie. Vu son bon caractère, Confucius en faisait souvent  l'éloge. Yan Hui est mort à 40 ans et finit par être vénéré parmi les Quatre Sages.

Un jour, Yan Hui eut une discussion avec Confucius: “Je crois qu'on ne doit pas avoir honte d'être pauvre. On doit connaître sa place, peu importe son origine. Même si on ne bénéficie pas d'un statut social élevé, on ne se sent pas inférieur et on ne se comporte pas de façon honteuse devant des aristocrates. On ne se construit pas une réputation en se donnant des airs, mais on soutient plutôt ses amis dans l'adversité tout au long de sa vie. Que pensez-vous de prendre cela comme règle de vie? ”

Confucius répondit: “Cela serait bon. Si on peut se contenter malgré ses origines pauvres, sans se sentir inférieur devant des aristocrates, on n'aura pas d'autre désirs. Quoique ne bénéficiant pas d'une position sociale élevée, on ne se considère pas en dessous des aristocrates et on peut se comporter naturellement, humblement et poliment. On peut traiter tout le monde correctement et sans prendre des airs, et du coup, les gens vont vous respecter.

Ne s'isolant pas des groupes sociaux, on peut se faire des amis, on apprécie la loyauté, et on soutient ses amis dans l'adversité. Ne parlant pas trop et n'en faisant pas trop, on peut unifier les choses efficacement. Quand on peut faire ainsi, même les anciens sages ne faisaient pas mieux.” Confucius vit que les actions de Yan Hui correspondaient vraiment à ses paroles. Il en faisait souvent l'éloge et lui faisait toute confiance.

Un jour, Confucius se trouva pris quelque part entre l'état de Chen et celui de Tsai, sans nourriture. Il n'avait pas mangé de sept jours et était épuisé. Pendant la journée, il ne pouvait que s'étendre et se reposer. Yan Hui rapporta du riz d'on ne sait où et se mit à le faire cuire.

Alors que le riz était presque prêt, Confucius vit Yan Hui en prendre dans la casserole et le manger. Une fois prêt, Yan Hui invita poliment Confucius à en manger. Confucius fit semblant ne pas avoir vu ce qui venait de se passer et dit: “Je viens juste de rêver des ancêtres.

Puisque le riz paraît propre, j'aimerais l'offrir en sacrifice aux ancêtres, et le manger plus tard.” Dans la culture chinoise, on ne peut pas offrir de la nourriture en sacrifice une fois que quelqu'un a commencé à en manger, sinon, ce serait manquer de respect pour les ancêtres.

Yan Hui répondit à la hâte: “Je vous prie de n'en rien faire. Il y a eu de la cendre de charbon qui est tombée dans la casserole et qui a taché le riz. Ç'aurait été dommage d'en jeter, je l'ai donc mangé.”

Confucius soupira et déclara à ses disciples: “Il faut se fier à se qu'on voit. Mais même lorsque les yeux voient réellement, ce n'est pas nécessairement la vérité. On fait confiance à son coeur, mais même le coeur n'est pas toujours fiable. Il faut nous rappeler que vraiment comprendre quelqu'un n'est jamais facile!”

Cet incident de “Yan Hui vole de la nourriture” a presque fait Confucius se méprendre sur son étudiant préféré. Après cela, il a compris cette vérité que "voire n'est pas nécessairement croire.” Même un sage pourrait se méprendre et douter de son disciple le plus fidèle. Heureusement, il sut comprendre la vérité et résoudre le malentendu.

On peut ne croire que ce qu'on voit. Néanmoins, ce que voient les yeux est très limité, car il y a tant de choses que les yeux humains ne peuvent voir. Ne jugeons pas aux apparences, mais considérons plusieurs angles pour comprendre l'ensemble du tableau. Si on ne voit les choses que d'une seule perspective,on aura des préjugés.

Nombreux sont ceux qui se méprennent sur les choses tout en soutenant en avoir été témoin. Ils sont donc hantés par ce malentendu et ressentent de la haine. Il en est même qui meurent avec des regrets qu'il ne réussissent pas à laisser derrière. Vaut-il vraiment la peine de se pourrir la vie à cause d'un malentendu?!

Translated by Sharon L and edited by Helen

2 commentaires:

Loïc a dit…

En lisant ton dernier article de blog, celui que tu relaies et dont la fin est très juste, on peut se demander tout de même si les premiers paragraphes très confucéens ne peuvent pas mener à un bon vieux conservatisme et un statu quo à tous les niveaux, à commencer social. Du genre accepte ta place, fais avec et tais-toi. C'est surement plus subtil mais ça peut être utiliser comme ça et l'a surement été non ? Comment tu relies ça au zen?

proulx michel a dit…

De toute façon, c'est la dérive obligatoire du confucianisme, qui se met en place dès l'arrivée du néo-confucianisme. En gros, Confucius écrit dans une époque troublée, anarchique, et ce qu'il met en relief, c'est l'opposé de ce qu'il observe dans la réalité. Donc, on a un schéma bien connu, où, quand tu vis dans une époque de guerres civiles, tu privilégie le règne de la loi, de l'ordre des relations familiales carrées et apaisées.

Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour se rendre compte qu'en temps de paix, cela puisse dégénérer en corset social. Un grand politologue (je crois que c'était Lord Acton) disait que les deux plus grands dangers qui puissent menacer la civilisation sont, respectivement, l'ordre, et le désordre. Trop de désordre et tout se casse la gueule. On voit bien à l'architecture, dans notre région, qu'aux XII° et XIII° siècle, les tailleurs de pierre font un super boulot et que les architectes aussi. Puis arrive le XIV° avec son cortège de guerres, de razzias et d'épidémies (des vraies, celles-là, qui laissent sur le carreau jusqu'à un tiers de la population!), et que les maçonneries sont sommaires, pas du tout soignées, etc.

Et puis, si tu as un système trop corseté, plus personne n'ose rien inventer, imaginer, qui pourrait être vu comme remettant en cause l'ordre établi. Donc, on en arrive encore à ce dada de Nishijima rôshi, c'est-à-dire l'équilibre entre l'agitation et le calme, entre l'ordre et le désordre.

En fait, quand on y regarde bien, tout peut être invoqué en soutien d'une variété quelconque du bon vieux conservatisme réactionnaire. (Après tout, vouloir conserver la Sécu, malgré les excités qui nous parlent de "progrès" relève aussi du conservatisme). L'équilibre entre les aspects nécessaires et complémentaires, quoique antagonistes, est toujours une chose délicate. C'est la différence entre l'extrême-droite "identitaire" incapable de voir plus loin que le bout de son nez, et de vrais patriotes pour qui le bien commun mérite qu'on s'associe avec des adversaires politiques, comme ce fut le cas avec de Gaulle et la Résistance, pendant que l'extrême-droite s'associait avec l'Occupant.
Parce que certains extrémistes ont tendance à considérer que quiconque ne pense pas comme eux doit être éliminé d'une manière ou d'une autre. Ce qui en fait paradoxalement des traîtres (à l'égard du bien commun).

Une société parfaite non seulement n'existe pas et n'existera jamais, mais elle est par définition impossible. La loi d'entropie étant ce qu'elle est, quand bien même elle devait exister ne fut-ce qu'une journée, elle commencerait immédiatement à être sapée, ne fut-ce que parce qu'elle serait trop ennuyante.

Mais inutile de dire ça à un polémiste, en particulier pendant des temps troublés, comme pour maître Kong. Pareil pour Marx. Marx essaie d'analyser une situation, propose des solutions, mais il est totalement débile de lui mettre sur le dos les âneries que certains de ses adulateurs ont pu commettre en essayant de créer une société parfaite, impossible à priori. D'ailleurs, Michéa est très intéressant là-dessus, sur l'oubli commun de certains éléments de la vie sociale, oubli que font autant Marx que les Libéraux. Eléments que maître Dôgen appelle justement, les quatre vertus des bodhisattvas, et qui sont le don, la parole aimable, le secours mutuel et la coopération. Vertus qui tendent à disparaître chez les individus au fur et à mesure de leur enrichissement.