mardi 26 octobre 2021

Karma collectif et bouddhistes conservateurs

 Je vous poste ici un article de Brad Warner qui ma paraît intéressant: Karma collectif et bouddhistes conservateurs

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La semaine dernière, j'ai posté une vidéo intitulée “Collective Karma and Conservative Buddhists.” Avant de la faire, j'avais écrit ce que je voulais dire. Ce que voici. Je n'ai pas suivi ce script rigoureusement, mais en gros c'est la même chose.

Il y a une sorte de forum en ligne pour les bouddhistes américains où un conférencier présente un papier universitaire dont une partie est une attaque contre moi. Lorsque j'ai moi-même lu ce papier, j'ai cru que l'auteur inventait des trucs, parce que je ne souvenais absolument pas d'avoir dit la plupart de ce qu'il me faisait dire. Mais comme il donne des références, j'ai été voir les articles de moi qui sont cités. Il se trouve que l'auteur paraphrase des choses que j'ai effectivement dites, mais de façon à en détourner le sens afin de leur faire correspondre à ce qu'il veut dire. Mais mes textes restent ce qu'ils sont et tout lecteur intéressé peut faire sa propre recherche et voir ce que j'ai vraiment écrit.

J'ai pensé tout revoir point par point, pour expliquer à quel point ce papier est mensonger. Mais cela me prendrait un effort considérable, et cela ne ma paraît juste pas en valoir la peine.

Il y a un point, néanmoins, dont je crois qu'il est assez important pour que j'en parle. L'auteur me reproche de ne rien connaître du concept de "karma collectif," concept que l'auteur semble beaucoup aimer. Sauf qu'il ne parle pas des raisons que j'ai clairement énoncées pour lesquelles je rejette cette idée de "karma collectif". Qu'on me permette donc de les énoncer ici.

L'idée de “karma collectif” est que, si un groupe racial, ethnique ou national auquel on appartient a fait des choses terribles dans le passé, alors chaque membre de ce groupe est responsable pour ces horreurs. Il s'agit là d'une idée dégoûtante que je rejette absolument.

J'ai toujours dit que le karma est quelque chose qu'on ne devrait jamais pointer que vers soi-même. Quand j'étais gamin, mon paire ne nous permettait de jouer avec des pistolets jouets qu'à condition de ne jamais les pointer vers quiconque. C'était la règle. Je continuer à l'appliquer quand je parle de karma et des conséquences de mes actions. Jamais je ne pointe le karma vers quelqu'un d'autre pour dire: “Toi ou tes ancêtres avez dû faire quelque chose de mal dans le passé et c'est pour ça que tu souffres aujourd'hui."

Ce concept de "karma collectif" ressemble bien trop à l'idée chrétienne de la Malédiction de Canaan. Voici ce qu'en dit WIkipédia: "Après que le Déluge a pris fin, Noé sort de l’Arche avec les siens et plante une vigne, s’enivrant de son vin. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères [Sem et Japhet]. Réveillé, Noé condamne Canaan, le fils de Cham à être « l’esclave des esclaves de ses frères » avant de bénir Sem et Japhet."

"Ce récit qui évoque en quelques versets la personnalité des pères des 70 nations qui ont, selon la Bible, composé l'humanité, a connu diverses exégèses lesquelles ont eu des répercussions historiques, donnant naissance au mythe de la race hamite et offrant à leurs auteurs une caution religieuse à la dépréciation des peuples d'Afrique noire et à leur réduction en esclavage. "

De même, cette idée de "karma collectif" est souvent utilisée en Inde en tant que justification au système des castes, et au Japon pour justifier le mauvais traitement des "burakumin", dont les ancêtres était des bouchers et des tanneurs, ce qui était considéré comme profession impure par les bouddhistes. C'est pour cela que je n'aime pas cette idée de "karma collectif" car rien de bon n'en peut sortir.

Et juste pour dire, voici ce que j'en ai dit dans un des articles que le papier critique:
"Pour moi, le problème majeur de la notion de "karma collectif" n'est pas que je la ressente comme une attaque contre ce qu'on pourrait considérer comme mon propre collectif personnel de mâles blancs. C'est plutôt l'extraordinaire et évidente laideur qui s'ensuit.
"Par exemple... on pourrait utiliser la croyance en un karma collectif pour dire que les Juifs qui vivaient en Europe dans les années "30 devaient avoir fait des choses horribles dans leurs vies passées et que donc, l'Holocauste était leur karma collectif. Ou qu'en est-il des Africains de l'Ouest du XVII° au XIX°? Etait-ce leur karma collectif qu'on les prenne et vende comme esclaves?
"Et si on veut continuer, qu'en est-il des privilèges dont les hommes blancs jouissent supposément tant aujourd'hui? Ne serait-ce pas que cela indique une sorte de karma collectif positif? Si on mène l'idée karma collectif de race et de genre à son terme logique, alors tout devrait paraître tout à fait justifié du point de vue karmique et donc logique que les mâles blancs soient en charge de tant de choses. Ce qui me paraît une idée terrible!"

Voilà donc pourquoi je rejette l'idée de karma collectif. Pas parce qu'elle pointe son doigt vers moi en tant que mâle blanc qui porte le fardeau collectif du blâme pour tant de mauvaises actions d'hommes blancs, mais parce qu'on peut l'utiliser pour justifier et perpétuer des idées absolument horribles.

Le reste du papier porte sur la façon dont le bouddhisme converti américain, c'est-à-dire le bouddhisme aux USA tel que pratiqué par des personnes comme moi qui ne sont pas nées dedans, a traditionnellement penché de façon très nette vers la gauche dans ses politiques. Mais qu'il serait de nos jours corrompu par des forces de droite telles que moi. En fait, il me tient pour un "centriste réactionnaire" ce qui veut dire quelqu'un qui est politiquement au centre mais qui "tape à gauche", c-à-d qui critique les politiques de gauche.

Cette idée est assez populaire auprès de certains bouddhistes américains de nos jours. Mais elle comporte des problèmes dont je crois qu'ils méritent qu'on en discute.

L'auteur de ce papier évite de dire que le gauchisme du bouddhisme américain de conversion est une anomalie. Dans le reste du monde, les bouddhistes tendent à être surtout conservateurs au plan politique. C'est ce que j'ai découvert à ma grande surprise au Japon.

C'est comme pour toute autre religion, à cet égard. Les chrétiens, les juifs et les musulmans tendent à être politiquement conservateurs. Il y a des libéraux dans ces religions aussi, certes. Mais ils sont la minorité. Il en va de même pour les bouddhistes dans le reste du monde, ce qui est la vaste majorité d'entre eux.

Cela est tout à fait logique si on y pense. Les personnes religieuses tendent à aimer conserver les traditions du passé. Elles tendent aussi à penser de même en affaires politiques.

La raison pour laquelle les gauchistes tendent à dominer le bouddhisme américain de conversion tient à la façon dont le bouddhisme a commencé par être important chez les Américains non-immigrants. Cela faisait partie du mouvement hippie des années '60 dont les membres étaient nés après la Guerre et rejetaient le conservatisme de la génération de leurs parents. Devenir bouddhiste dans les années '60 et '70, c'était rejeter la tradition. Sans compter qu'il a commencer à se populariser dans de grandes cités côtières telles que San Francisco, Los Angeles, et New York, où les politiques de gauche étaient prédominantes.

En croissant en Amérique, le bouddhisme a quitté cette bulle de "Baby Boomers" côtiers et s'est répandu de plus en plus dans ces états appelés "flyover" (c-à-d au-dessus desquels on passe), des gens comme moi. En continuant à se répandre chez des gens autres que ceux qui vivent sur les côtes et ceux des générations d'après-guerre, et en devenant de plus en plus une tradition dans ce pays, plutôt qu'une nouveauté, on peut s'attendre à ce que ce bouddhisme américain de conversion devienne de plus en plus conservateur au plan politique. Il vaudrait mieux s'y faire, je pense.

Une des plus mauvaises idées que semblent adopter de nombreux bouddhistes américains des générations d'après-guerre et des grandes cités côtières, c'est que les valeurs politiques de gauche correspondent davantage à celles du bouddhisme. Les bouddhistes veulent "sauver tous les êtres" et traiter les gens avec "bonté aimante" et n'est-ce pas ce dont il s'agit en politique de gauche?

J'ai eu pensé pareil. Donc, ce que je vais dire m'a pris beaucoup de temps avant que je m'y fasse. J'ai eu du mal. Il se peut donc que vous en ayez vous aussi, en lisant ceci.

Mais cette idée que seuls les libéraux ou les gauchistes se préoccupent de sauver tous les êtres et de traiter les gens avec amabilité est incorrecte. Un exemple de la façon dont cela joue serait la différence entre les idées libérales et conservatrices sur les militaires. Un gauchiste tend à penser, comme c'était mon cas, que si on est opposé à la guerre, donc on doit être en faveur de diminuer les dépenses militaires et de mettre fin aux tests d'armes avancées. Zero Defex (le groupe punk où je joue de la basse) a joué à de nombreux meetings anti-nucléaires et je portais même un macaron sur ma chemise qui disait "Gelez le nucléaire". C'est pourquoi ils sont nombreux à penser, comme c'était mon cas, que quiconque est en faveur d'une augmentation des dépenses militaires et de continuer à tester des armes avancées doit par force être favorable à la guerre.

Mais ce n'est pas nécessairement le cas. De nombreux conservateurs sont en faveur de ces dépenses et de ces tests parce qu'ils sont opposés à la guerre. Ils croient qu'avoir une bonne défense militaire est la meilleure façon de prévenir la guerre.

Je ne veux pas argumenter sur quelle position est la bonne. Tout ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas de façon automatique attribuer des motivations aux personnes avec qui on est en désaccord. Il vaut mieux en apprendre davantage sur ceux qui ont des vues différentes sur ce genre de choses. Quand on comprend pourquoi ils les ont, on peut être surpris, comme ce fut mon cas. C'est alors qu'on peut peut-être arriver à des objectifs communs.

En plus, du point de vue bouddhiste, je crois qu'il nous faut comprendre que ceux qui s'opposent à nous ne sont pas, en fin de compte, différents de nous. Nous provenons tous de la même source. Nous sommes comme un puzzle qui a été défait. Nous ne pourrons voir l'image que lorsque chacun aura trouvé un moyen de vivre avec les différences de tous les autres.