lundi 9 avril 2007

Sharmoniser

S’harmoniser, ah, le vilain mot !

Hier encore j’ai entendu quelqu’un me dire qu’il « fallait s’harmoniser ». Oh que cette expression me gonfle !
Il s’agit d’une expression courante dans les groupes bouddhistes, surtout d’inspiration japonaise. En effet, on la retrouve aussi bien au sein de la Soka Gakkai que dans les divers groupes zen. Son sens est essentiellement le suivant : peu importe ce qui se pratique dans le groupe, tu fais pareil. Si le groupe décide de mettre soleil au féminin et lune au masculin, tu t’harmonises. Peu importe qu’en dehors du groupe il en aille autrement, on s’en fout, tu t’harmonises ! Si le groupe te dit que deux et deux font cinq, tu t’harmonises !
Pour quiconque connaît un peu la sociologie orientale, ce genre de délire ne provoquera aucune surprise. Même les anti-conformistes s’y réunissent en groupes d’anti-conformistes, groupes dans lesquels tout le monde fait pareil, évidemment.
Ca me rappelle un dessin que j’avais vu, montrant un troupeau de moutons s’avançant vers une falaise, et, bien entendu, les premiers étant poussés par ceux derrière tombaient inéluctablement dans le ravin. Sauf une brebis, à contre-courant, qui tentait de remonter le flot suicidaire du troupeau, en disant : « Pardon. Excusez-moi ». Sale individualiste qui refuse de s’harmoniser !!!
En fait, ce qui me paraît évident, c’est qu’on se trouve encore une fois face à un malentendu. Je ne vais pas rappeler la nature intimement dictatoriale des divers régimes politiques qui se sont succédés au Japon du XVI° siècle au milieu du XX°. Il me semble qu’il n’est pas besoin d’être trop malin pour deviner que ça ait pu avoir une influence sur les mentalités, surtout quand on voit l’impact que la Grande Dictature Militaire -- qui chevauche la fin du XVIII° et le début du XIX°-- a pu laisser sur les mentalités françaises.
Cette nécessité de s’harmoniser existe. Mais pas à tout prix. Et, surtout, elle ne doit pas être un moyen autoritaire de faire rentrer les moutons noirs dans le rang. Pour qu’elle soit valable, il faut qu’il s’agisse d’une initiative individuelle et intérieure, et qu’elle ne s’apparente pas à une démission ou une compromission.
Mais dans le cadre de l’autoritarisme, il s’agit au contraire du prétexte rêvé pour faire taire tous les empêcheurs de tourner en rond. C’est un appui indéfectible à la rigidité mentale, et l’idéal pour pouvoir éviter de se remettre en question.
A moi, il me semble que l’agir juste de l’Octuple Noble Sentier implique de s’adapter aux circonstances, de modifier les choses en fonction de ce qu’on peut découvrir avec l’expérience. Refuser de modifier un comportement au prétexte que c’est la tradition est formellement déconseillé dans le Sûtra aux Kalamas, où il est dit « Ne croyez pas parce que le moine l’a dit, ou parce que c’est la tradition ». Moi, mon expérience d’artisan m’a permis de voir comment la « tradition » peut se déformer en l’espace de quelques années, voire parfois de quelque mois. Et il faut parfois beaucoup d’observation et d’humilité pour remettre en question ce qu’on croit savoir, parce que cette remise en question implique d’admettre qu’on s’est trompé, ou qu’on a été trompés.

La transmission ne se fait jamais à l’identique. Un maître forme un élève dans la mesure de ses capacités, mais aussi dans la mesure des capacités de l’élève. Chaque être humain est différent de l’autre, et donc la compréhension est toujours fonction de la conformation propre de chacun. Un maître transmet les choses au fur et à mesure d’un programme qu’il s’est donné, mais aussi au gré des circonstances. Certains éléments qui reviennent plus souvent que d’autres sont plus facilement enseignés, et transmis, et compris en fonction des capacités de l’élève. Certaines choses il les comprendra moins bien que d’autres. Certaines, dont l’usage n’est guère fréquent risquent de ne pas bénéficier de la même maîtrise que ceux qu’on pratique tous les jours. C’est ainsi que dans l’artisanat, la simple tradition sans imagination tend à s’appauvrir, par la force des choses.

3 commentaires:

Unknown a dit…

La voie du milieu est alors de ne pas choisir entre être métaphysicien (disposer du libre arbitre) ou être physicien (être conditionné, par exemple à faire foule) ? Cela ne veut pas dire, bien sûr que la voie métaphysique ou la voie physique n'existent pas mais qu'il n'y a pas à prendre parti...

Bien à vous,
jls

proulx michel a dit…

exactement, les deux sont valides simultanément

Unknown a dit…

Le rappel de cette tendance du "marcher au pas" est la bienvenue. Le conformisme peut être la pire des choses dans le sens où l’on se conforme sans discernement à un fait sous prétexte qu’il relève de tradition, de culture, de référence. Mais après tout, dans conformisme, il y confort... et c'est vrai que c'est tentant de se fondre dans la sécurité du groupe. Le « Panurgisme ».
En tant que musicien, je sais trop bien comment le désir de respecter jusqu’à la lettre une partition peut assécher à jamais toute liberté du jeu et capacité créatrice.
Le conditionnement (voire le bourrage de crâne si l’on est un peu trop accro à la télé) est quelque chose que l'on peut difficilement éviter.
Par contre, on peut et l'on doit se questionner sur son propre conditionnement.
En général, le groupe, quelque soit ses buts, n’apprécie que très rarement l’émancipation de ses membres.
Mais là, on rentre dans des questions de pouvoir.