dimanche 13 octobre 2019

De la compassion

Argument: dans l'égalité de la Vacuité, bien et mal son égaux.

Alors? Et le bien?
En fait, la compassion n'est pas dualiste. Le problème du dualisme, du bien et du mal, est insoluble.
La compassion ne se préoccupe pas du bien, dans l'absolu, mais d'harmonie cosmique.

Là, je sens que, pour plein de lecteurs, je viens de basculer dans le gnangnan niouédge. Mais en fait, cette expression "harmonie cosmique", aussi ridicule qu'elle puisse paraître, ne fait que résumer le fait que lorsque le monde tourne rond, le "mal" est absent. Le mal, après tout, n'est que la sottise en action, le résultat d'une croyance erronée qu'on puisse faire une saloperie et ne jamais la payer. Mais c'est là tout un sujet de discussion en soi.
Dans "Zen and the Art of Motorcycle Maintenance", Pirsig fait remonter au problème de la Vérité chez Socrate. Socrate (d'après Platon) cherche "la Vérité" et mène ses interrogatoires en fonction de cette quête. Le problème étant que ses adversaires parlent d'autre chose, l'aretê, terme que Pirsig dans son texte traduit par "Qualité".
En gros, ce que les sophistes enseignent, c'est ce que nous appellerions, "pouvoir se regarder dans une glace". Même si le résultat nous met dans une situation difficile, pouvoir se regarder dans une glace est primordial. Parce que la "vérité"... Dans les faits, la vérité, la réalité, est si complexe qu'il est pratiquement impossible de l'exprimer en mots. Parfois, la seule approximation qui soit à notre disposition est la poésie, parce que l'évocation fait appel à plus qu'aux seuls concepts intellectuels dont notre mental est capable. C'est aussi pourquoi cette quête de la "vérité" est nécessairement dualiste, oscillant entre le conceptuel et le matériel.

Lorsqu'on veut séparer le bien du mal, on a toujours recours à des distinctions faites à la hache. Dans une situation dualiste, on n'a guère le choix. "Tu es avec moi ou contre moi;""On ne peut pas être neutre." Et autres alternatives idiotes du même genre. Tout dualisme extrême ne nous laisse qu'une seule alternative. Il y a blanc ou il y a noir, il ne peut pas y avoir de nuances de gris.
C'est pourquoi il faut retirer aux notions de bien et de mal leur valeur absolue.
Si l'on se fixe comme règle de ne jamais faire le mal (ou, ce qui revient au même, à toujours faire le bien), on s'expose à des dilemmes du genre à ne pas tuer un assassin sur le point d'égorger une famille (je grossis le trait), ne pas corriger un môme qui casse la vaisselle ou torture un chat, etc.
C'est pourquoi ce qu'on appelle la "compassion", cette capacité de s'identifier à ce dont souffrent les autres, n'est pas une invitation à "souffrir avec eux", du genre se caler devant la télé et se tordre les mains devant les horreurs qu'on nous y montre, et ça s'arrête là. Dans sa capacité d'empathie avec la situation globale, elle permet de voir plus loin et de ne pas se laisser enfermer dans des choix qui n'en sont pas.

Ainsi, la compassion nous fait être bons quand c'est possible, sévère quand il le faut et par là-même, d'être juste, ce qui, en définitive reste le plus important. Il s'agit de se régler en harmonie avec l'ensemble du contexte où nous et les autres nous trouvons, ce qui permet de voir au delà de l'apparence immédiate. Il ne s'agit pas de choisir entre le monde des idées et celui de la matière, ni entre des paires comme le bien et le mal, le sombre et le clair, le noir et le blanc, toutes paires dont chaque élément n'existe et n'est défini que par son opposé. Dans la réalité, dans notre réalité, la matière et les idées, prises isolément, ne nous servent à rien. Elles ne se manifestent que dans l'action, et l'extrême complexité de la réalité nous garantit qu'il sera rare que tout se passe parfaitement et sans erreur. Le noir n'est jamais si noir et le blanc n'est jamais si blanc que nous ne puissions en trouver une nuance encore "plus". Et c'est ce qui fait qu'il puisse arriver que la véritable compassion consiste à ne rien faire.

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