jeudi 10 septembre 2020

L'amour propre ne le reste jamais bien longtemps


J'avais été très amusé à la lecture du titre de cette BD de Lauzier qu'il avait intitulée "L'amour propre ne le reste jamais bien longtemps", parce qu'il évoquait l'idée que l'amour propre, c'était comme un slip...

Evidemment, non seulement c'est totalement intraduisible en une autre langue, mais en plus l'expression, telle qu'elle est constituée, est totalement inexacte. Il ne s'agit pas d'amour, seulement de complaisance, et le mot "propre" est ici réflexif et n'a rien à voir avec la propreté. Mais, bref, cela m'amène à parler de l'orgueil, de l'ὕϐρις (hubris), du nombrilisme, et donc de ce que tout le monde dans le zen appelle l'ego.

Je dis souvent qu'il y a deux catégories de personnes: celles qui n'ont pas confiance en elles, et celles qui n'ont pas confiance en elles. Les premières, plus rares, sont ces timides, qui s'excusent toujours de n'avoir aucune confiance en eux et qui n'oseraient jamais rien, à la limite. Et puis, il y a les autres, qui se construisent des façades, impressionnantes et intimidantes comme des forteresses, ou élégantes et somptueuses, parfois très chargées comme des architectures de la Renaissance ou celles du Second Empire, ou froides et insipides comme l'architecture contemporaine. Toutes les variations sont possibles, mais derrière ces façades, toujours, se cache un pauvre type qui se c*** dessous qu'on découvre qui il/elle est vraiment.
Et on se ment à soi-même, et on essaie d'impressionner, et on joue de la séduction, etc., etc., mais en réalité, on a juste peur. Et puis un jour, j'ai entendu Kengan Robert dire à une émission de télé: "La confiance en soi? Mais ça ne sert à rien! On n'a aucun besoin d'avoir confiance en soi. Ce qu'il faut, c'est d'avoir confiance en ce qu'on fait!"
Et là, ça a fait tilt! Parce que ce qu'on sait faire, il faut le faire, comme le disait Scott Ross, et que, quand on se concentre sur ce qu'on fait, on n'a pas le temps de se préoccuper de soi. Et en fait, il vaut mieux ne pas avoir confiance en soi, vu qu'on n'est pas fiable!
Se concentrer sur ce qu'on fait, et si on y ajoute la sincérité, cela permet de ne pas se sentir anéanti par une critique négative, parce que cette sensation vient juste de notre peur de révéler au monde ce que nous percevons comme la nullité de notre "soi". Et alors se produit un phénomène extrêmement intéressant: devenus capables d'encaisser cette critique, parce qu'on ne la met plus en relation avec notre manie de la représentation, on peut en tirer profit, et améliorer ce qu'on fait et ce qu'on sait faire. Du coup, on a de plus en plus confiance en ce qu'on fait, et comme on se méfie de "soi", on ne se laisse pas avoir par des attitudes idiotes qui viendraient tout gâcher.

J'ai vécu, il y a peu, une démonstration vivante de ce que j'écris ici.
J'étais en contact avec une personne qui avait demandé à être mon étudiant, et que je suivais avec attention. Cette personne avait tout pour me succéder, et c'est pourquoi j'avais très tôt pris la décision de lui donner la Transmission du Dharma, le fameux shiho dont j'ai parlé précédemment. Il n'y avait qu'un détail qui me retenait, et qui était son insécurité profonde qui se manifestait de façons plutôt incompatibles avec la charge. J'ai donc à plusieurs reprises tenté de l'orienter vers des attitudes plus sereines, en insistant sur ses compétences professionnelles, en tentant de désamorcer ses insécurités par rapport aux milieux universitaires etc., mais en pure perte. Lorsque je lui ai reproché des attitudes d'avidité cela a créé un froid, mais j'ai cru que l'effet serait bénéfique. Et puis (et je crois que c'est la goutte qui a fait déborder le vase) je lui fait une observation d'ordre esthétique sur un truc que je trouvais gênant dans un de ses travaux, et alors, cette personne a totalement coupé les ponts avec moi, me laissant avec un peu d'amertume d'avoir misé sur elle, conjointe à un soulagement de n'avoir pas donné la transmission trop légèrement à quelqu'un qui en aurait probablement fait mauvais usage, étant donné cette attitude.

Pour être un bon enseignant, il faut toujours être disposé à apprendre, même des plus mauvais élèves. J'imaginais un peintre talentueux qui peindrait un tableau sublime, et qui déciderait, à la façon chinoise, de l'orner d'un poème (ce qui s'est eu fait aussi sous nos climats aux XV° et XVI° siècles, et même plus tard sur les gravures). Et on lirait: "L'etang est bo, le si elle est bleue, geai deux oizôs qui ontouffé pour est treureu" Et qui se vexerait parce qu'on lui reproche son orthographe approximative. Mais que vaut-il mieux? Une observation bienveillante de la part d'un ami, ou les moqueries plus ou moins sous cape des personnes voyant le tableau?

4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'imagine que ça peut fonctionner pour quelqu'un avec un savoir-faire. Mais personnellement je n'ai pas de compétences particulières, au sens où toi tu fabriques des archers, quelque chose de clairement identifiable. Ou alors tu parles de manière beaucoup plus générale et philosophique et ce "faire" engloberait n'importe quelle action? Comme quand Nishijima parle d'action?

Et puis la distinction entre ce qu'on est et ce qu'on fait est quand même un peu difficile à établir il me semble. Les deux sont pas mal liés, qu'on le veuille ou non. Confiance en ce qu'on fait et méfiance envers soi, du coup j'ai du mal à voir comment.

"Se concentrer sur ce qu'on fait, et si on y ajoute la sincérité, cela permet de ne pas se sentir anéanti par une critique négative"...

ça franchement, si tu fais quelque chose de ton mieux avec grande sincérité, justement tu prends le risque d'un sacré coup par la critique, même bienveillante. D'ailleurs, même si une critique est formulée avec une intention bienveillante, la personne qui la reçoit ne connaît pas ton intention, de la même manière que tu ne connais qu'une toute petite part des circonstances de la personne à qui tu l'adresses.

Bref j'ai du mal à saisir comment cette logique peut fonctionner au plan psychologique.

proulx michel a dit…

Oui, ce n'est pas la première fois qu'on me fait cette objection. Et je crois la comprendre, mais ce qu'on fait, même si c'est écrire des rapports, ou étudier une matière, c'est quand même du faire. Les coups qu'on se prend lors d'une critique, même bienveillante, sont pénibles non pas par rapport à ce qu'on a fait, mais par rapport à la PERCEPTION qu'on a de soi.

Autrement, dit, à chaque fois que notre amour-propre se prend un coup, c'est parce qu'on insiste sur l'être plutôt que le faire. Si tu veux apprendre à faire, je ne sais pas, moi, une omelette. Tu dois t'attendre à ne pas la réussir du premier coup. (Et si tu la réussis du premier coup, tu risque d'avoir un problème le jour où tu la rateras). Il faut avoir l'humilité de comprendre qu'on ne sait pas tout, qu'on ne peut tout savoir. Lorsqu'on se concentre sur l'action, on peut au moins faire preuve d'humour par rapport au résultat, parce qu'on sait que ça ne change rien à ce qu'on est soi-même. Mais si on "le prend pour soi", oui, ça devient catastrophique.

Le distinguo est difficile, mais pourtant absolument nécessaire.

Anonyme a dit…

En fait, je pense que je suis d'accord avec ce que tu dis au plan théorique. Mais je vois bien qu'au plan psychologique et émotionnel les choses sont très compliquées et dépendent de beaucoup de facteurs et de circonstances (le domaine de l'expérience, la maturité que tu as dans le domaine en question, la reconnaissance sociale que tu peux avoir dans le domaine par ailleurs etc).

ça me fait penser à quelqu'un de très problématique avec qui je travaillais. Cette personne avait des problèmes avec pas mal de monde sur le lieu de travail. J'ai essaye de dialoguer, faire des compromis, arrondir les angles et vraiment de comprendre cette personne. Mais elle restait sur sa position qui était de dire que la manière dont je prenais ses actions ou paroles était mon problème, pas le sien. Oui, en effet, en partie, mais enfin, on ne peut pas vivre en société ainsi. C'est d'ailleurs pourquoi autant de préceptes portent sur la parole.

Donc dire que c'est une question de perception de soi, oui d'accord en théorie, mais en pratique, c'est un peu comme dire à quelqu'un en dépression que c'est juste une question d'image de soi. Ou a quelqu'un en plein chagrin d'amour, un de perdu dix de retrouvés, ou encore de dire que le mal aux genoux en zazen c'est de l'ego. C'est en partie vrai en théorie mais psychologiquement ça ne va pas changer grand chose.

Mais Ça revient finalement à dire que cette mauvaise perception correspondrait à dukkha et opérer le distinguo serait la pratique-realisation. Là d'accord. Mais en attendant l'anuttara samyak sambodhi, c'est compliqué...

proulx michel a dit…

Je suis totalement d'accord avec toi. Le seul truc, c'est que la seule façon de vérifier ce que je dis, c'est l'expérience. Il faut essayer.

Evidemment qu'on ne peut pas aider quelqu'un qui est en dépression en lui disant que c'est juste une question d'image de soi, parce que le problème des personnes en dépression, c'est qu'elles doivent elles-mêmes faire une partie du chemin avec la personne qui les aide (outre le fait qu'il n'est pas facile de trouver quelqu'un qui va pouvoir aider avec efficacité dans ce genre de cas). On ne peut malheureusement pas aider les gens malgré eux.

Mais j'observe malgré tout que même pour quelqu'un qui fait un petit boulot, se donner la peine de le faire correctement, et tirer, sinon du plaisir, du moins une certaine satisfaction de l'avoir fait correctement est quelque chose qui est très efficace pour expérimenter ce que je dis. Evidemment que pour un artisan spécialisé, c'est en quelque sorte plus facile. Ce serait pourtant une erreur que de croire qu'il n'y a jamais de moments de découragement, d'incertitude et d'envie de tout laisser tomber. Et pourtant, mon expérience est bien que s'oublier soi-même et se donner à ce qu'on a à faire est un puissant moyen d'accéder à une tranquillité intérieure qui finit par entraîner des interactions positives qui finissent par, dans un cercle vertueux, amener chaque jour un peu mieux à ne plus se préoccuper de la "confiance en soi".