mardi 12 novembre 2019

Catholicisme 'zombie'

Un des pièges les plus sournois qui nous guettent est le "catholicisme zombie" tel que formulé par Emmanuel Todd.
Les gens, même non-pratiquants, voire non-baptisés [il y a, pour les protestants, les juifs et les musulmans, des différences, mais la problématique reste grosso-modo la même] continuent à être inconsciemment influencés par les aspects culturels d'une religion dont ils ne se réclament pas/plus. Et ce, par un détail en particulier, qui est l'exclusivisme: "Hors de l'Eglise, point de salut!"
Le monothéisme, en effet, entraîne automatiquement l'intolérance, car, s'il n'y a qu'un dieu, il ne peut (!) y avoir qu'une seule manière de lui rendre hommage, évidemment!
Ceci peut paraître caricatural, mais les dégâts sont bien réels. C'est pourquoi il est si important pour les pratiquants de la Voie de se pencher sur leurs origines culturelles, de les regarder bien en face, et de faire la paix avec elles, en en faisant l'inventaire, pour voir ce qui doit être gardé, et ce qui doit être rejeté. Sans cette démarche, on en arrive facilement à des absurdités comme celle que je vais vous raconter.

Un maître zen, descendant de Kôdô Sawaki à la cinquième génération (et une vraie transmission, de personne vivante à personne vivante, pas un truc fantasmé!) s'installe dans une ville où existe déjà un dojo zen affilié à une grande association. Le dirigeant de ce dojo rencontre un jour un maître dans une autre tradition (plutôt hindouïste) avec lequel la communication intime de coeur à coeur se fait, et il décide d'abandonner le Zen. Son départ déclenche automatiquement la course à l'échalotte et le complexe d'Iznogoud s'en donne à coeur-joie. A la suite de ces dissensions, certains membres décident d'aller voir chez l'autre lignée zen, tout naturellement.
Et, comme dans toutes les lignées zen [au Japon, chaque temple a ses idiosyncrasies qui font que les conventions et cérémonies sont souvent un peu différentes de l'un à l'autre], il y a des façons de faire qui diffèrent. Il n'existe pas un modèle pré-établi et immuable comme dans l'Eglise Catholique.
C'est ainsi que certains de ces transfuges ont pu avoir l'arrogance de dire à ce maître que "Ce n'est pas ainsi qu'il faut faire!"

Une telle attitude est totalement antinomique de la Voie. Pour moi elle est assez inacceptable car elle démontre un manque de respect terrible. Et lorsqu'on parle de 初心 [shoshin] "l'Esprit du débutant", ce n'est pas une vaine expression. L'esprit du débutant, c'est celui de quelqu'un qui est totalement déstabilisé par un nouvel environnement, qui cherche avidement à en acquérir les codes et à y fonctionner efficacement. Cette déstabilisation est essentielle pour ouvrir les yeux, tant nous avons tendance à ne jamais voir ce que nous ne nous attendons pas à voir. Un débutant, lui, sait qu'il doit apprendre à "voir" et cela aiguise sa curiosité.
Mais trop de personnes recherchent avant tout une stabilité de leur environnement, avant même de l'avoir développée en eux. L'esprit du débutant, c'est arriver en terrain inconnu, et devoir s'adapter, parfois très vite. Si le débutant voit quelque chose qui cloche, il le signale plus volontiers, mais trop souvent se fait aussitôt rabattre le caquet avec des "C'est la tradition" ou autres sottises, et c'est ainsi qu'il perd rapidement son "esprit du débutant".

Le catholicisme est, de façon sociologique, une doctrine autoritaire, où l'on doit croire sans poser de questions, et obéir sans objections. Si l'on a trop intégré ce fonctionnement, on risque de le reproduire inconsciemment, même dans un contexte qui est, nominalement non-autoritaire et où l'on DOIT se poser des questions. Le catholicisme n'est évidemment pas que ça, et, à titre personnel, je l'ai trop longtemps idiotement haï, parce que je n'en voyais que les effets pervers, que je ne connaissais que trop. Divers événements, rencontres et contacts m'ont amené à le regarder avec plus de sérénité. Et c'est ainsi que, progressivement, j'ai pris conscience qu'un rejet trop brutal, trop excessif était mauvais et contre-productif. Par exemple, le fait que le Christianisme ait réussi, tout au long du Moyen-Age, à supprimer l'esclavage, qui a fait son retour avec la réhabilitation de l'Antiquité païenne. Le fait qu'à l'impulsion de Bernard de Clervaux (fondateur de l'ordre cistercien), le statut de la femme ait été dans nos pays européens élevé de façon considérable, la femme ayant, jusqu'à la Révolution, des droits sociaux et civils presque égaux à celles d'aujourd'hui [rayés d'un trait de plume par Napoléon dans le code civil]. Il y a plein de détails qu'un historien impartial doit voir, avant de condamner quoi que ce soit, même si des choses condamnables, on peut en trouver sans peine. Mais savoir voir ces aspects positifs permet d'acquérir une certaine tranquillité et de comprendre pourquoi les aspects négatifs justifient tout à fait leur abandon.
Mais cet abandon est absolument nécessaire. Car permettre à ces aspects négatifs de survivre de façon subreptice dans l'apprentissage de la Voie, c'est s'exposer à ce qu'on peut trop souvent observer: des structures autoritaires, des personnes qui intiment aux autres d'obéir sans réfléchir, et qui tentent d'empêcher les autres de s'interroger sur des choses qui leur paraissent ne pas aller. C'est laisser l'ivresse du pouvoir s'emparer des esprits et négliger tout l'aspect de responsabilité qui va avec la liberté que nous sommes censés chercher.
Dans les Quatre Voeux Impossibles, il y a "Innombrables sont les Portes du Dharma, [mais] je fais voeu de les étudier toutes". Cela veut bien dire ce que cela veut dire. Acceptons qu'il y ait d'autres Portes du Dharma que la nôtre, y-compris à l'intérieur même de notre école Sôtô, et cessons d'aspirer à une uniformité qui serait de toute façon contre-productive.

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