jeudi 9 janvier 2020

Paradoxe de l'attention

Ce matin, j'ai échangé avec un ami sur les problèmes de l'attention.

Il m'écrivait que plus on rabâche aux gens d'être attentifs, et moins ils ont tendance à l'être vraiment, et surtout naturellement. Ce qui fait qu'ils sont dans une sorte d'effort ou de crispation physique, un effort volontaire. L'injonction leur crispe le corps et l'esprit aussi. Ce qui amène un épuisement qui va porter les gens à arrêter la pratique, réduite à une pratique d'attention fermée.

Encore une fois, on voit les ravages de l'injonction. "Soyez spontané!" (de préférence sur le ton d'un adjudant en caserne). Et il est évident que cela ne peut pas fonctionner. Mon ami poursuivait en demandant: "Et si l'apprentissage de l'attention passait d'abord par l'observation simple, l'écoute simple? Et en fin de compte, ne pas chercher à être attentif.

Cela me paraît très juste. Un des plus anciens textes à donner une description de la pratique assise bouddhiste est le Satipatthanasutta, qui décrit comment le pratiquant se met dans une position d'observateur. Moi, je compare cela à la situation d'un spectateur au théâtre ou au cinéma, qui regarde et n'intervient pas. Euh... en principe. Mais qu'il braille toutes les sottises qu'il voudra, plus encore au cinéma qu'au théâtre, tout ce qu'il dira ne changera rien au déroulement du film. Il n'en reste pas moins que nombreux sont ceux et celles qui lisent ce texte distraitement et en tirent l'idée fausse qu'il enseigne de contrôler la respiration. Quand il dit clairement que le pratiquant observe ce qui se passe (comme au cinéma).

L'attention est un truc essentiel, mais qui consiste entre autres à choisir ses priorités. La conduite est un bon paradigme pour expliquer l'attention, parce que le manque de cette dernière peut facilement engendrer des catastrophes, pour soi ou pour les autres. Déjà, moi, je roule en moto, et il est essentiel à moto d'être en pleine attention, parce que notre vie est en danger permanent. Donc, les mêmes principes qu'en zazen doivent s'appliquer: poser le regard (on va là où on pose les yeux) avoir une posture confortable où la respiration est dégagée et facile, parce que l'attention est le cas d'école de l'unité du corps et de l'esprit. Il est bien plus difficile d'être attentif lorsqu'on a mal (en particulier si c'est mal de tête), si on a le souffle opressé, si le regard et l'ouie sont distraits. Ecouter de la musique en conduisant est distraisant (treize ans et demi au maximum). Regarder le paysage (en particulier sur une route de montagne est distrayant. Bref, l'attention repose sur des postures et des conditions physiques propices.

Un monsieur un jour me disait qu'il avait l'impression que sa méditation était foutue s'il n'arrivait pas à faire le vide. Je lui ai répété ce qu'enseignait Nishijima, qu'il n'y a pas de mauvais zazen, et quand il a fini par l'accepter, il m'a dit que sa méditation en était bien plus aisée.

Il y a dans l'attention une combinaison de laisser aller et de tension. C'est paradoxal, mais pour être attentif, il faut être détendu. Mais c'est encore une fois comme la parabole de la corde d'instrument de musique: un corde sonne à son meilleur en tension, un peu sous le point de rupture. C'est son élasticité qui lui permet de sonner, mais si on la tend trop, elle se rompt. Autrement dit, l'attention, c'est être en mesure de vibrer. Il ne faut pas que quoi que ce soit vienne l'étouffer.

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