vendredi 31 janvier 2020

Transmission du Dharma

J'ai passé quelques jours en Tchéquie, la semaine dernière, en compagnie de mon "grand-frère" de Dharma, Mike Luetchford, qui a commencé à étudier avec Nishijima en 1977, au Japon, et qui reste pour moi une référence incontournable. En effet, autant je suis érudit et bavard, tout à fait capable de me disperser dans toutes les directions, avec lui, je suis toujours assuré d'être ramené dare-dare à notre sujet. Autant dire qu'il ne m'a jamais ménagé.

Bref, nous en sommes venus à évoquer les possibilités de l'imposture dans le Zen. Cette discipline a toujours été un terrain fertile pour les impostures en tout genre, car le manque même de définition qui en est la caractéristique, rend extrêmement faciles les impostures. Maître Dôgen déjà, au XIII° siècle, dénonçait la possibilité que certains s'érigent en gourous juste en arguant d'un dessin ou d'un poème que leur aurait remis un maître, et c'est bien pour cela qu'il insiste tellement sur la transmission "i shin den shin," d'un coeur à l'autre, d'une personne à l'autre. Encore de nos jours, la majorité des maîtres français ont, en gros et sans préjudice de leur qualité réelle en tant qu'enseignants, "acheté" leur transmission. En effet, aller au Japon rencontrer le maître d'un temple qu'on connaît à peine et qui va donner sa transmission pour le prestige d'avoir un "disciple" étranger, qui va recevoir un "cadeau" parfois important, plus les frais d'adhésion à la Sôtôshû, etc., le tout arrivant facilement à des sommes dépassant les 10000 euros, ne peut en aucun cas être qualifié d'une transmission "isshin denshin." Il suffit d'avoir les moyens.

Maître Brad Warner, un autre de mes "frères de Dharma" et mon autre référence nishijimienne, disait dans une vidéo qu'il a publiée sur le sujet: "Un jour, Nishijima m’a arrêté après une de ses conférences hebdomadaires au YMBA de l’Université de Tokyo, et m’a dit qu’il voulait me donner la Transmission. Moi, ma réaction a été: “De quoi diable parlez-vous? Vous savez, c’est à moi que vous parlez, le type qui travaille pour la boîte qui fait Ultraman, je fais partie d’un groupe de musique punk, et vous voulez me transmettre à moi?” Après, il en a parlé à son premier maître, à l'Université de Kent, dans l'Ohio, qui lui a dit les mots qui lui sont restés imprimés: “Il y a tout un tas de trouducs qui ont la transmission, et tu ferais mieux que ces personnes.” En entendant ça, il s'est dit, “OK, je puis peut-être faire ça.” Il est donc retourné au Japon, et ils ont fait la cérémonie. Il ajoute:
"Mais c’était une reconnaissance de quelque chose, d’une compréhension entre nous. Si je dis ça, c’est parce que je lui ai demandé, environ un an ou deux après la cérémonie: “Pourquoi diable m’avez-vous donné le Shiho?” Parce que je me l’étais toujours demandé depuis, et il m’a répondu: “Parce que vous me comprenez complètement.” Ce que j’ai trouvé étrange, parce que je ne pensais absolument pas le comprendre complètement. Il y avait plein de trucs que je ne comprenais pas chez lui, ni sa relation avec sa famille, ni sa relation avec la compagnie pour laquelle il travaillait; il avait des attitudes bizarres par rapport à des choses qui me laissaient un peu mystifié, et sous tous ces trucs personnels très spécifiques, il lui semblait qu’il y avait un courant souterrain de compréhension."

Il y a évidemment, en dehors de ce type de transmission, toutes les sortes: les transmissions achetées, de celle déjà mentionnée où on part pour le Japon rencontrer le maître d'un temple à celles d'intérêt, où on donne la transmission à quelqu'un qui va renvoyer l'ascenseur en favorisant les contacts avec des personnes qui comptent, dans les milieux de l'édition, par exemple. Il y a les transmissions où on la donne parce qu'on a eu de la sympathie pour quelqu'un mais où on peut éventuellement s'être trompé parce que cela aura déchaîné les passions égotiques de la personne. C'est pourquoi je pense avec Brad et Mike que la transmission, quoiqu'elle ne serve pas à grand-chose pour les gens sincères, est assez précieuse pour qu'on ne la jette pas à tous vents juste pour élargir son cercle d'influence.

Aujourd'hui, après près de vingt ans d'efforts de certaines personnes, le nom de maître Nishijima est assez connu en France et en Grande-Bretagne pour être devenu un accessoire de prestige. Des personnes se réclament de sa lignée sans rien transmettre (et probablement sans rien connaître) de ses enseignements, menant des cérémonies qu'il aurait absolument reniées et recréant des hiérarchies qu'il exécrait. Oh, le bonhomme n'était pas simple et il avait ses propres zones d'ombre et de contradictions, mais cela, l'unité de la cérémonie des préceptes, était une des choses qui lui tenait à coeur. Aussi, au moment où des imposteurs arrivent, se réclamant de la lignée de Nishijima tout en la piétinant allégrement, il va peut-être être temps de, soit abandonner la référence, soit vérifier auprès des textes disponibles [http://zenmontpellier.net/fr/gudo/gudo.html] la conformité entre les prétentions et la réalité.

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