mercredi 20 mai 2020

Ego et orgueil

Il y a un moment que je m'interroge sur la notion d'ego dans le bouddhisme. Déjà que la façon dont elle est employée m'agaçait, et j'ai à plusieurs reprises fait observer à quel point, si l'ego et la personnalité devaient être confondues, il en faut un solide pour pouvoir avaler l'idée que ce n'est qu'une fiction.

Depuis le tout début de mon intérêt pour le zen, en 1973, j'ai été fasciné par l'aspect paradoxal que souvent revêtent les phrases zen. Ici, nous en avons un bel exemple: un ego solide pour admettre que l'ego n'est qu'une fiction. Fiction utile au demeurant: elle permet d'identifier de qui l'on parle et qui parle dans une phrase. mais fictive parc que ego n'est jamais que je en latin, et pour qu'il y ait je, il faut bien qu'il y ait tu, il, elle, nous, vous, ils et elles.

Brad Warner faisait observer, dans une de ses vidéos, qu'il ne faut jamais pointer le karma des autres. Du genre, on voit quelqu'un qui galère, et on pointe sur son karma en disant, "s'il galère, c'est qu'il a un mauvais karma, c'est donc de sa faute!" Ce qui résonne bien avec moi parce que c'est une réflexion que je m'étais déjà faite il y a cinquante ans. Il en va de même pour l'ego.

Il est très courant dans les milieux bouddhistes (et pas seulement zen, je vous rassure) d'entendre quelqu'un opposer à une autre personne qu'elle "a un trop gros ego". Ce genre de réflexion a toujours eu le don de me mettre en rogne, parce que, vous l'observerez, c'est toujours l'AUTRE qui est en cause. On en revient toujours à cette phrase de Jésus sur la paille dans l'oeil de l'autre et la poutre dans le sien propre. Mais ces observations m'entraînent sur un autre terrain, rarement mentionné dans ces milieux, mais que qui provient de milieux cathos connaît parfaitement: l'orgueil.

Je pense avoir observé que cette manie de pointer l'ego des autres n'est pas exclusive au zen, mais à partir d'ici, je vais m'y limiter. J'ai fait cette observation assez dérangeante que le zen tend à générer de l'orgueil chez ses membres. Et cela m'amène à mentionner ce qui était, pour les Grecs de l'Antiquité, la faute la plus grave: l'hybris.
"L’hybris, ou hubris, du grec ancien ὕϐρις / hybris, est une notion grecque qui se traduit le plus souvent par « démesure ». C'est un sentiment violent inspiré des passions, particulièrement de l'orgueil. Les Grecs lui opposaient la tempérance et la modération. Dans la Grèce antique, l’hybris était considérée comme un crime. Elle recouvrait des violations comme les voies de fait, les agressions sexuelles et le vol de propriété publique ou sacrée. C'est la tentation de démesure ou de folie imprudente des hommes, tentés de rivaliser avec les dieux. Cela vaut en général de terribles punitions de la part de ces derniers." (Wikipedia)
J'ai aussi observé qu'en grec moderne, le mot (qui veut alors dire "insulte") se prononce "ivris" ce qui le rapproche de notre français "ivresse". Et je trouve le rapprochement pertinent et parlant.

Nous parlons, dans le bouddhisme, des trois poisons, qui sont l'avidité, l'aversion et l'ignorance. Un des aspects de l'orgueil c'est qu'il recouvre ces trois de façon assez étonnante. L'avidité parce que l'orgueil est avide de compliments, l'aversion parce qu'il déteste la critique, et l'ignorance parce qu'il ignore qu'il n'est que le résultat de l'illusion qui consiste à croire qu'on existe pour soi et par soi-même. Dans la notion grecque antique d'hybris, il y a aussi cette "ivresse" causée par l'intoxication due à l'illusion, et qui fait oublier qu'on n'est pas tout seuls.

Mais je m'égare. Ce que j'ai remarqué dans les milieux zen, c'est des gens (pas tous, heureusement!) qui, parce que, depuis de longues années, ils vont une ou deux fois par semaine se déguiser dans un dojo et s'asseoir en lotus ou en demi-lotus, se permettent de regarder tout le monde, et en particulier les débutants, comme des m***es. Je pense qu'il est très facile, à défaut de travailler avec sincérité sur soi-même, sur l'illusion qui nous pousse à nous considérer au delà de toute critique, de s'enfermer dans une espèce d'élitisme où l'on va se rengorger parce qu'on pratique zazen!

A cet effet, je dirais que, tout simplement, un "zéniste" qui se vexe si on lui fait une observation (peu importe sur quoi!) est quelqu'un qui non seulement n'a rien compris au bouddhisme, mais refuse activement de le comprendre. Un "zéniste" qui se vexe si on lui fait observer que sa posture est rigide, ou qu'il est attaché à ses vues, ou qu'il répète de travers quelque chose qu'il a appris sur le tas ou tout autre chose où l'on est susceptible de faire des erreurs et où se le faire observer est une occasion de s'améliorer et de mieux comprendre ce qu'il y a à faire, est quelqu'un qui refuse tout simplement de comprendre ce qu'est la pratique. Quelqu'un qui est attaché à sa représentation de soi et qui préfère entrer en conflit plutôt que la remettre en question. Représentation de soi qui, évidemment, porte le nom d'ego.

Il y a du travail à faire...

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