mercredi 10 juin 2020

L'activisme et le système nerveux autonome

Voici une des dernières publications de Brad Warner. Pour toutes sortes de raisons, il m'a paru utile de la publier ici en français.

[titre original: Activism and the Central Nervous System
Published by Brad on June 9, 2020]


Hier, j'ai posté une vidéo sur YouTube d'une conversation que j'ai eue avec Sensei Alex Kakuyo. Sensei Alex est un de mes enseignants bouddhistes contemporains préférés. Il est jeune, mais très sage, et très sérieux dans sa pratique. Cette conversation sur le bouddhisme et l'activisme était très bien. J'espère que vous la regarderez.

Il est évident que le racisme existe toujours en Amérique et que c'est un problème grave. C'est bien de voir tant de gens se rassembler pour célébrer l'harmonie raciale. certes, j'espère qu'ils prennent les précautions nécessaires par rapport à la pandémie lorsqu'ils s'assemblent. Je ne voudrais pas me lancer dans un débat sur ce sujet, mais je commence à penser que mes craintes de voir la maladie se répandre rapidement à partir de ces rassemblements était peut-être erronée. Je regrette d'exagérer les choses, mais j'espère bien avoir tort.

Je regrette beaucoup de choses. J'ai l'impression que ma pratique fonctionne de travers depuis plusieurs années. Ni terriblement ni de façon désastreuse, mais c'est juste qu'elle n'a pas été ce qu'elle aurait dû être.

Quoi qu'il en soit, cette nouvelle ère d'activisme et de préoccupation pour les autres a le potentiel de devenir quelque chose de merveilleux. Mais nous devons faire attention ou cela pourrait dégénérer horriblement.

Nishijima rôshi parlait souvent du système nerveux autonome, divisé en deux moitiés: le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique. Il disait que lorsque le sympathique est trop fort, nous devenons très intellectuels, très critiques, très cassants. c'est la partie combat-ou-fuite du système nerveux. Lorsque le parasympathique est trop fort, on devient l'opposé, faciles à vivre voire apathiques, on veut juste se détendre. C'est la partie repos-et-digestion du système nerveux. Ce sont là des données assez fondamentales qu'on trouve dans tout manuel du débutant sur le système nerveux autonome.

Zazen, disait Nishijima rôshi, aide à équilibrer les deux moitiés du système nerveux autonome. Il croyait que cela était le principal bénéfice de zazen.

Par rapport à la situation présente, avec les divers mouvements de protestation, on peut voir les effets des deux parties du système nerveux en jeu dans le comportement des gens. par exemple, il y a quelques jours, un groupe d'activistes a fait la promotion d'un truc appelé Black Out Tuesday. C'était censé aider des voix noires à être entendues sur les réseaux sociaux.

J'en ai entendu parler mardi vers 9 hres du matin, le jour où ça a eu lieu. C'était plutôt tôt. Mais dès que je l'ai vu, le tout s'était déjà engagé dans une spirale qui aurait presque été comique si elle n'avait été si tragique. Cet événement parti de bonnes intentions s'était divisé en factions de gens en ligne qui s'attaquaient les uns aux autres pour l'avoir fait de la mauvaise manière. Certains avaient mis les mauvais hashtags, ou les avaient mis aux mauvais endroits, ou... vous savez… Je suis vieux. Je ne suis pas arrivé à suivre. Mais quoique trop vieux pour comprendre les détailsdu débat, ce qui arrivait m'était assez clair.

Trop de gens laissaient la bride sur le cou à leur système sympathique. Ça peut se comprendre. Nous sortons tout juste d'une semaine d'incendies et de pillages. Tout le monde était sur les nerfs. C'était de toute façon mon cas! Le sympathique était en train de vibrer!

Cela a débordé sur les débats à propos du Black Out Tuesday et menacé d'annihiler les bonnes intentions de ses créateurs. Les voix noires n'étaient pas noyées par l'usage inapproprié des hashtags et de l'iconographie, elles étaient noyées par l'outrage suscité par l'usage inapproprié des hashtags et de l'iconographie. Ce que je trouvais un peu triste, parce que j'aurais voulu entendre davantage de voix de personnes de couleur et moins de cris sur l'usage incorrect des hashtags.

D'autre part, quand certains en critiquent d'autres à propos de leur silence sur des problèmes graves, ce qu'ils critiquent réellement, ce sont ceux qui permettent au parasympathique de dominer jusqu'au point où ils deviennent apathiques et je-m'en-foutistes. Comme je l'ai dit plus tôt, garder le silence n'indique pas toujours une apathie ou un défaut de préoccupation. Parfois, la façon correcte de traiter le bruit, c'est par le noble silence. Qui est totalement différent de la variété de silence apathique et je-m'en-foutiste. Mais mettons ça de côté et soyons d'accord que le silence apathique et je-m'en-foutiste aboutit en réalité à tolérer les tendances les pires des gens sans jamais s'y opposer.

Pour qu'un mouvement activiste fonctionne, il lui faut être équilibré. Il ne peut pas se déporter trop loin d'un côté comme d'un autre du système nerveux autonome. Il est facile de se laisser entraîner par l'idée qu'il faut que les choses changent de façon urgente MAINTENANT, et que la seule façon de faire en sorte que ça change, c'est D'OBLIGER TOUT LE MONDE À FAIRE CE QUI DOIT L'ÊTRE.

Je comprends ça. vraiment. J'ai tendance à penser comme ça, comme tout le monde d'ailleurs. Il est sûr que lorsqu'on regarde la vidéo du meurtre de George Floyd, il est difficile de ne pas réagir de la sorte.

Le problème étant que cette approche ne fonctionne jamais. Elle favorise beaucoup trop le sympathique. le mieux qu'on puisse faire avec l'approche agressive dominée par le sympathique, c'est de forcer les gens à jour un jeu auquel ils ne croient pas du tout.

Mais ce n'est pas ce que nous voulons! Nous voulons des gens qui croient sincèrement que tous les êtres humains sont fondamentalement les mêmes et méritent d'être mieux traités, pas des gens qui disent ces mots juste parce qu'ils y ont été forcés. Cela ne fait que laisser le vrai problème pourrir sous la surface.

Et de toute évidence, l'approche apathique que favorise le parasympathique ne nous mènera nulle part non plus. Ça au moins, c'est facile à comprendre.

Mais ce ne sont pas nos deux seuls choix. Nous n'avons pas à prendre un parti ou l'autre, soit avec ceux qui veulent forcer tout le monde à faire ce qu'ils croient être bien, et ceux qui veulent juste ignorer le problème et espérer qu'il disparaitra.

Il y a une autre façon. Mais elle requiert de l'équilibre. et l'équilibre est difficile à trouver et difficile à maintenir.

C'est pourquoi je veux remettre mon boulot sur les rails et me consacrer à enseigner zazen et les préceptes éthiques du bouddhisme.

Restez en contact.

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