dimanche 28 juin 2020

Rigyô

Dans le fascicule du Shôbôgenzô intitulé "les quatre vertus d'un bodhisattva", maître Dôgen parle du don, de la parole aimable, du comportement secourable et de la coopération. Il se trouve que ces quatre vertus sont aussi à la base de la survie de l'humanité et de la civilisation.

Pour parler plus spécifiquement de 利行, ou rigyô, le comportement aidant ou secourable, on me rapporte qu'il y a longtemps, un étudiant demanda à l'anthropologue Margaret Mead (1901-1978) quel était, selon elle, le premier signe de civilisation dans une culture. A sa grande surprise, lui qui s'attendait à ce qu'elle lui parle de pointes de flèches, de vases en terre cuite ou de meules de pierre, elle lui dit que le premier signe de civilisation dans une culture antique est un fémur cassé et réparé.
Elle lui expliqua que, dans le règne animal, si tu te casses une jambe, tu es mort. Tu ne peux plus fuir le danger, aller à la rivière pour boire, ou chercher à manger. Tu es un repas pour les prédateurs. Aucun animal sauvage ne peut survivre assez longtemps à une patte cassée pour que l'os se ressoude. Un fémur fracturé et ressoudé est la preuve que quelqu'un a pris la peine de rester avec celui qui est tombé, en a pansé la plaie, l'a amené dans un lieu sûr et l'a aidé à se reprendre.
Margaret Mead expliquait qu'aider autrui dans la difficulté est là où commence la civilisation (Ira Byock).

Nous voici loin du darwinisme social qu'on nous inflige depuis trente ans, et qui était aussi à la base du régime nazi: compétition! compétition! compétition!
D'ailleurs le darwinisme social est un malentendu sur le darwinisme parce que ce que Darwin avait relevé n'était pas la loi du plus fort, mais celle du plus flexible, du plus adapté. Et lui-même s'était fait avoir parce qu'il avait étudié un milieu très riche où la compétition pouvait avoir lieu, parce qu'elle ne mettait pas en danger la survie des espèces. On s'est aperçu par la suite que, dans des milieux plus éprouvants, il existe même une coopération entre espèces, en particulier dans le grand nord.
Mais cette idée hyper-glauque de la compétition tous azimuts est véritablement une plaie de notre époque, quoique aussi d'une certaine forme de calvinisme anglo-saxon.

Je m'explique: le monothéisme, en particulier dans les religions abrahamiques, se met de lui-même dans une situation intenable. Il postule en effet un dieu personnel, omniscient et tout puissant. Ce qui entraîne un dilemme: déterminisme ou libre-arbitre? Des guerres féroces se sont faites sur ce point. Pour nous bouddhistes, aucun problème: c'est les deux (mais on y reviendra). Mais les calvinistes, eux, et en particulier aux USA, en ont déduit que, puisque leur dieu sait tout, il sait donc d'avance qui sera sauvé et qui sera damné. Donc, les pauvres, les misérables, ceux à qui arrivent des infortunes épouvantables n'ont pas à être aidés, car c'est le signe de leur damnation. La richesse devient donc, de façon corollaire, le signe de la salvation. Quitte à en ignorer l'avertissement de Jésus par rapport aux riches. Mais bref...

Tout ça pour souligner cette importance de l'entraide mutuelle, représentée au niveau officiel par nos systèmes de sécurité sociale.

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