vendredi 26 juin 2020

Les pensées

Il y a quelque temps, Brad Warner parlait des pensées, et en en discutant au téléphone, j'ai eu l'idée de revenir sur le sujet.

Cette personne me parlait d'un voisin décédé dont il avait vu le carnet intime dans lequel il y avait des fantasmes assez immondes, surtout par rapport à sa vie personnelle. C'est alors que la vidéo de Brad m'est revenue à l'esprit.

Dans le zen, on enseigne de ne pas s'attarder sur les pensées qui nous viennent à l'esprit. Que ce soit pendant la pratique ou pendant la journée, notre cerveau fourmille en permanence d'idées qu'il nous présente , certaines bonnes, d'autres moins, et parfois l'occasionnelle abomination. Je puis, par exemple, avouer que j'ai souvent des idées de meurtre assez macabres et horribles pour certains politicards dont je trouve qu'ils s'en tirent quand même très bien. Mais ce sont des idées qui peuvent venir à l'esprit de tout le monde. Ce que nous enseignons dans le zen, c'est de laisser filer et de ne pas les entretenir.
Lorsqu'on entretient une idée, surtout si elle n'est pas constructive, elle risque de devenir obsessionnelle. Ma suggestion par rapport à ce monsieur était que, peut-être, sa façon de faire pour s'en débarrasser était de les noter dans son carnet. Je ne crois pas que c'était une très bonne idée, car cela équivaut à les entretenir, mais tout le monde n'étudie pas le zen et n'est pas au courant de cette distinction entre les idées telles qu'elles surgissent, et la pensée discursive qui les entretient, les nourrit et les cultive.
Trop de gens, même dans le zen, n'ont pas compris cette distinction, et vont répétant qu'il ne faut pas penser! Tâche impossible s'il en fut, puisque c'est la fonction du cerveau, à moins d'aller se faire lobotomiser. Il faut dire que dans la majorité des centres, les périodes de zazen sont plutôt courtes, de l'ordre de dix minutes, un quart d'heure au grand maximum, le reste étant occupé par du bruit rituel. Mais je pense que même avec de vraies périodes d'une demi-heure ou quarante minutes de zazen, certains passeraient quand même à côté de cette observation des différents niveaux de la pensée: holiste et discursive. Et, je pense, discursive involontaire et discursive volontaire.

Des catholiques-zombie, pour parler comme E. Todd, risquent de s'angoisser et de culpabiliser parce qu'ils ont eu "de mauvaises pensées". Peu en importe la nature, d'ailleurs. C'est juste qu'ils négligent ce petit fait intéressant que ce n'est pas de ne pas avoir de "mauvaises pensées" qu'il s'agit, mais bien de ne pas les entretenir lorsqu'elles surgissent.

Je reviens souvent sur cette anecdote personnelle: j'avais, à l'école primaire, subi les mauvais traitements d'une dame particulièrement féroce, si mon frère a pu me rapporter l'an dernier avoir croisé par hasard un type pour qui cette femme restait son principal cauchemar. Je l'ai tant haïe que, quinze ans après, je confiais à un ami que si je la croisais dans la rue, je lui mettrais mon poing sur la gueule, pour parler avec élégance. Cet ami m'a alors rendu un immense service en m'ouvrant une des Portes du Dharma, qui dit que la rancoeur, c'est avaler du poison en espérant que quelqu'un d'autre en meure. Il m'a dit: "Tu te rends compte de quoi tu aurais l'air? Les gens ne connaissant pas les origines de ton acte ne verraient qu'un grand gaillard adulte en train de taper une vieille". J'ai alors volontairement abandonné ma haine, voyant qu'elle ne nuisait qu'à moi. Cette leçon m'a été souvent utile par la suite.

Donc, ne vous inquiétez pas de voir apparaître dans votre esprit l'image de la tête d'une personne connue au bout d'une pique. Cela peut arriver, et participe d'un référentiel historique bien connu. Contentez vous de ne pas y donner suite, ni en actes, ni même en pensée. Cela ne ferait que vous faire du mal à vous et non pas à cette personne.

1 commentaire:

Rémi a dit…

Cette culpabilisation ou cette mauvaise position par rapport aux idées me semblent être au cœur du bouddhisme et contre-intuitives pour un occidental.

Cela peut, je crois, s'expliquer aussi assez bien avec l'idée selon laquelle, dans le bouddhisme "primitif" (theravada mais peut-être que c'était déjà là avant le bouddhisme) déjà, le "mental" était un organe de perception comme un autre : je mets des guillemets à "mental" parce que je ne crois pas qu'on retrouve en français des mots assez précis ; c'est penser que nous ne sommes pas responsables de la production des pensées, qui surgissent comme d'autres formes, visuelles, olfactives etc. Cela permet de replacer sa "liberté" là où elle a un peu de sens : orienter le navire et non pas vouloir décider des récifs qui se présentent à l'horizon. Ce qui à terme a une conséquence, si on file la métaphore, sur le paysage qui se présentera, en fonction de là où l'on a navigué.