vendredi 4 juin 2021

Libre arbitre

 J'embraye sur une vidéo de Brad Warner qui parle d'un auteur du nom de Ramesh Balsekar qu'il cite, dans un texte où il parle du Bouddha, en disant (c'est Balsekar qui parle): 

"Dans mon interprétation, ce qu'entendait dire le Bouddha, c'est que l'éveil, la totale réalisation, est que personne n'est un faiseur. Ni moi, ni l'autre n'enlève la souffrance. Ce qui explose la fondation de la paix, chaque fois que je l'ai. Et cette souffrance est l'énorme charge massive qu'on se transporte avec soi, une charge de honte et de culpabilité pour nos propres actions et de haine et de méchanceté pour celles des autres. Enlevez cette charge et vous n'aurez vraiment plus qu'à attendre qu'arrive la paix. Enlevez ce fardeau d'orgueil et d'arrogance pour vos bonnes actions, et de honte et de culpabilité pour les mauvaises, de haine et de malveillance pour les fautes des autres, enlevez ce fardeau et vous découvrirez que vous n'avez pas à chercher la paix. L'absence même de ce fardeau est la présence de ce que je cherche. (...)

Donc, selon mon concept, tout ce que n'importe quel chercheur spirituel peut avoir est juste ceci: ne jamais être mal à l'aise avec moi-même, ne jamais avoir à me haïr pour quoi que ce soit, ne jamais avoir à être mal à l'aise avec qui que ce soit, ne jamais avoir à haïr qui que ce soit. C'est tout. Si vous attendez de la réalisation quoi que ce soit de plus que cela, il vous faudra regarder ailleurs. Mon concept ne vous aidera pas."

Et (ajoute Brad), l'autre jour, deux personnes différentes m'ont envoyé un article du journal The Guardian sur le libre arbitre, et les différentes interprétations qui en sont faites. L'article était très intéressant, mais je crois que la personne qui a écrit l'article arrivait à ce sujet du libre arbitre contre le déterminisme d'un point de vue matérialiste. Et ce n'est pas que je veuille faire parler Nishijima à ma place, mais il me semble que son interprétation du libre arbitre était bien meilleure que ce que j'ai lu dans cet article, parce qu'il n'y venait pas par un biais matérialiste. Et je crois que ce qu'il aurait dit aurait été (je mets les mots dans sa bouche, mais je ne crois pas me tromper) que si on y vient par le biais du matérialisme, on doit absolument exclure toute possibilité de libre arbitre. Il ne peut PAS y avoir de libre arbitre dans une perspective matérialiste.

Si l'univers n'est que matière, et rien de plus, alors le libre arbitre n'y a pas sa place et vous pouvez le vérifier par vous-même. Et c'était d'ailleurs la conclusion du Guardian, dans l'article. Mais le matérialisme est incomplet et il ne comprend pas tout et, fondamentalement, l'argument du libre arbitre contre déterminisme est, chez Balsekar comme chez Nishijima, un peu similaire à celui du matérialisme contre l'idéalisme. Aucun des deux n'est la réponse. Le libre arbitre n'est pas la réponse, le déterminisme n'est pas la réponse. Le déterminisme est ce qu'on a lorsqu'on considère tout d'un point de vue matérialiste, et le libre arbitre est ce qu'on a lorsqu'on considère tout d'un point de vue idéaliste. Aucun des deux n'est la réponse correcte. Les deux sont illusoires.

L'autre chose que ne fait pas Balsekar (ce qui m'a un peu déçu) mais que fait Dôgen et aussi le bouddhisme, c'est que l'argument contre le libre arbitre, du moins contre le libre arbitre sans restriction, est aussi un argument très fort en faveur du comportement éthique. Parce que, si on se comporte de façon éthique, on n'a alors pas à avoir honte ou se sentir coupable (ou bien moins, en tout cas) et on n'a pas à concevoir de la haine pour les autres parce que cela fait aussi partie du comportement éthique qui est de ne pas haïr. 

Donc, l'éthique est pour moi sérieusement importante, qu'on croie ou pas en le libre arbitre. L'argument pour l'éthique est alors super fort."

2 commentaires:

Loïc a dit…

Pour me faire l'avocat du diable et aussi creuser un peu plus, quelques questions / remarques:

- Parce que, si on se comporte de façon éthique, on n'a alors pas à avoir honte ou se sentir coupable (ou bien moins, en tout cas)

Il y a deux choses là. Si mon code ou mes critères éthiques diffèrent de ceux d'une autre personne et qu'en suivant mon éthique j'indispose, blesse, offusque (même sans le savoir) cette personne, je peux, bien qu'ayant suivi mes principes avoir causé un tort et surtout me rendre compte que cela a indisposé la personne en face. Et éprouver honte ou culpabilité. Et c'est le deuxième aspect de la question. Quand on dit " on n'a pas à avoir honte ou se sentir coupable", cela relève du ressenti, de l'émotion. Pas quelque chose de facilement controlable. Je ne peux pas décréter "ok je ne vais pas ressentir ceci ou cela". C'est surement le sens de ta parenthèse d'ailleurs.

- et on n'a pas à concevoir de la haine pour les autres parce que cela fait aussi partie du comportement éthique qui est de ne pas haïr.

Dans le même ordre d'idée: on a beau savoir qu'on ne devrait pas concevoir de haine ou telle autre émotion, le fait est que les émotions se présentent d'elles-mêmes et qu'une injonction religieuse intériorisée peut renforcer honte et culpabilité du genre " je sais que je ne devrais pas ressentir ci ou ça pour être un bon bouddhiste / chrétien etc mais je le ressens donc mea culpa, je suis un mauvais pratiquant". Et on retourne l'émotion négative sur soi très facilement.

Comment est-ce que tu analyses ça ?

proulx michel a dit…

Eh bien, je dirais qu'il faut introduire une différence entre le sens de la responsabilité et celui de la culpabilité (ou de la honte). La honte, déjà, c'est pour quand on a fait quelque chose dont on aurait dû dès le départ se rendre compte que c'était stupide. La culpabilité, c'est le sentiment d'avoir commis une faute irréparable (sinon on réparerait). Mais la responsabilité, ça se manifeste autrement. On peut dire, en gros, "Oui, je me suis planté. Si possible, j'éviterai de le refaire, mais je comprends qu'on pourra me le faire payer longtemps, peu importent mes regrets." Il y a pour ça cette anecdote d'Angulimala ("collier de doigts") qu'un brahmane sournois avait convaincu qu'il devait tuer mille personnes pour lui, et qui y était presque arrivé quand le Bouddha l'a arrêté. Après sa conversion, malgré ses robes et son crâne rasé, quand des proches de ses victimes le reconnaissaient, il revenait au monastère couvert de plaies et de bosses. Il disait au Bouddha, "C'est dur!" Mais l'autre lui répondait: "Que veux-tu..."

Donc que des gens s'offusquent de ce que tu as fait lorsque tu es en accord avec toi-même, cela peut se produire, mais ce n'est pas réellement un tort, parce que, en général, il s'agit surtout du "non, les braves gens n'aiment pas que l'on suivre une autre route qu'eux". Si quelqu'un s'offusque parce que tu refuses de sacrifier un agneau pour Pâques ou pour l'Aïd, je crois que tu peux leur laisser leur offuscation...

Et puis, oui, la honte et la culpabilité relèvent effectivement de l'émotion, mais lorsqu'on les remplace par la responsabilité, on y est quand même beaucoup moins sujet. Pour la même raison, l'émotion négative qu'on retourne sur soi se transforme considérablement lorsqu'on mise plutôt sur la responsabilité. Cela dit, cela ne change rien au fait que je serais probablement bien embarassé si on me ressortait certaines de mes conneries de jeunesse, mais le simple fait de ne pas chercher à les nier, les minimiser ou, justement, évader la responsabilité serait probablement d'une grande aide.