dimanche 24 février 2008

Le monde est -il uniformément gris?

Un de mes correspondants prétend que le monde est gris. Ce qui me ramène à ce qu'écrit maître Nishijima: qu'il lui avait paru que si l'enseignement du Bouddha se limitait à dire que le monde n'est que souffrance, ce n'était pas la peine qu'il se dérange, nous avions remarqué.
Il y a peu, je faisais remarquer à un de mes élèves (en français) que le monde était une merveille, mais qu'il est aussi une infection. Le problème, c'est qu'il faut apprendre à découvrir et apprivoiser la merveille, alors que l'infection s'imposait à nous sans problème. Si nous n'apprenons pas à apprécier les moments de l'existence qui sont une merveille, nous n'aurons à notre disposition que les horreurs sans nombre qui pullulent, avec bien peu de moments de répit.
Le monde n'est gris que de façon statistique. Dans une image en noir et blanc de définition respectable, on va du blanc au noir avec d'innombrables niveaux de gris. Dans une image couleurs, on passe de l'ultra-violet à l'infra-rouge par tout l'arc-en-ciel des couleurs.
Mais il y a des cultures où il n'y a pas de mot spécifique pour différencier le bleu du vert. En gaélique, en japonais ou en chinois (et sans doute bien d'autres) il n'y a qu'un seul mot pour les désigner. Est-ce à dire que ces peuples ne voient pas la différence entre le bleu et le vert? Evidemment non. Mais pour les exprimer, ils doivent avoir recours à des artifices. Le fait de ne pas savoir les exprimer ne nous permet pas de les réduire au gris.
Le monde est beau, le monde est laid. Le monde n'est ni beau ni laid. Le monde est beau et laid tout à la fois. Il n'est également ni pas beau ni pas laid. Il est. Le reste, c'est notre appréciation qui le fait. IL serait peut être utile d'y voir.

Mxl

jeudi 31 janvier 2008

Ethique et sexualité

Le 23 janvier 2003, j'ai donné à Milan, au Centre Maitreya, une conférence sur l'éthique et la sexualité. En voici les grandes lignes.


Un des trucs centraux dans le Bouddhisme est l'idée de "dukkha", l'insatisfaction, le mal-être, le stress, la frustration, etc. Ce "dukkha" est le produit de l'inadéquation qui existe entre nos attentes et la réalité.
Il sera donc évident à quiconque connaît la capacité du sexe à nous entraîner dans des attentes irréalisables, qu'il est en cela une source considérable de ce "dukkha".

Dans un des chapitres de son "Shôbôgenzô", Dôgen dit "En premier, il y a le don gratuit. En second, la parole agréable, en troisième le comportement secourable et en troisième, la coopération."
Maître Nishijima ajoute que si on est équilibré, on ne peut pas être radin. Si quelque chose ne nous sert pas, on le donne aux autres sans hésiter. De même nous est-il très naturel d'être poli, ce qui rend les autres plus heureux. Nous sommes heureux de porter secours aux autres et enfin, nous tendons à coopérer dans un objectif commun, ce qui permet de le réaliser plus vite.

Ceci est certainement la base la plus saine pour l'éthique. L'équilibre est important, car pas d'équilibre physique sans équilibre mental et vice-versa. Nous, bouddhistes, ne fondons pas notre morale sur un contrôleur omnipotent et omniscient qui nous punirait si nous lui désobéissions. Nous agissons et nous savons que nos actes entraînent des conséquences: c'est nous qui nous "punissons" lorsque nous faisons des erreurs.
L'éthique est donc une façon de nous créer le monde dans lequel nous voulons vivre. Quand on fout la merde partout, il ne faut pas s'étonner de marcher dedans. Il faut donc faire attention à ce qu'on fait. Sans pour autant que cela nous paralyse. Il y faut un certain degré d'audace. Tout en sachant qu'il y aura des conséquences, il faut agir, car ne pas agir en aurait aussi.

C'est la responsabilité, le mot-clef. Savoir qu'on ne peut pas fuir les conséquences de ses actes. Et ne dit-on pas que le Bouddha, peu avant de mourir, aurait déclaré "En plus de quarante ans, je n'ai jamais enseigné autre choses que dukkha".

Ici, il faut un peu examiner le problème du "non-soi", doctrine intimement liée à notre propos. Le Bouddha nous enseigne que ce que nous tenons pour plus important, notre "Moi" ou "ego" n'a pas de subsance réelle. Il s'agit d'une construction psycho-socio-linguistique. Psycho car produit d'un conditionnement mental; socio parce que développée au contact des autres; et linguistique parce qu'elle coïncide avec l'apprentissage des pronoms "je", "me", "moi", etc.
Mais, pour paraphraser le Sûtra du Diamant, "L'ego n'est pas un ego: on l'appelle "ego". Le manque de substance réelle de cette construction entraîne un sentiment d'irréalité au plus profond de notre être, et ce sentiment est réprimé, d'où une impression de manque, d'incomplétude, qui nous dit que quelque chose manque dans notre vie. Nous avons donc tendance à vouloir combler ce manque avec quelque chose qui nous donnera une "preuve" de notre existence réelle, un peu comme le fait un miroir. L'argent, la gloire, la célébrité, le pouvoir, les biens matériels, le sexe, de fait.
Pourtant, on voit bien à la lecture des biographies de dictateurs que, plus leur pouvoir est absolu, et plus il leur paraît n'avoir pas un contrôle suffisant sur leurs sociétés.

Toutes les sociétés tentent d'empêcher que l'aspect "dyonisiaque" du sexe n'entraîne le chaos. Le Sangha bouddhique ne fait pas exception. Mais comme la majorité d'entre nous sommes de culture catho ou plus généralement chrétienne, nous partageons un peu l'absurde obsession de cette religion pour le sexe, et tendons, peut-être inconsciemment, à en reproduire les paradigmes.

A propos de sexe, dans le Bouddhisme, il y a des 'préceptes'. Ce ne sont pas des commandements, mais des recommandations. Il faut éviter de faire ce qui pourrait entraîner des dommages, directs ou collatéraux, à soi-même, aux autres et aussi aux deux. C'est un peu comme le code de la route. Il y a des gens pour qui l'obéissance au code est absolue, jusqu'au jour où les circonstances les obligent à y contrevenir, et, comme ils ne se sont pas fait prendre, ou qu'il n'y a eu aucun dommage, ils s'affranchissent une fois pour toutes du code. Il peut y avoir des cas où il sera indiqué de contrevenir. Mais cela ne signifie pas s'en affranchir!

Quand le Zen est arrivé en Occident, nous sortions d'une société extrêmement répressive, et le Zen passait pour une doctrine où tout peut se justifier, si on est "dans le bon état". Il était donc assez logique que ceux et celles qui recherchaient une solution à leur quête spirituelle mais refusaient de se laisser enfermer dans la vieille répression des sens aient pensé qu'ici, ils avaient porte ouverte à tout.
Puis arrivèrent les scandales: détournements de fonds, abus de pouvoir sur personnes fragiles, alcoolisme et ainsi de suite. Mais le Zen était-il responsable de ces abus de pouvoir?
Le Zen, certainement pas, mais une certaine tradition se parant de ce nom, oui.
Le Bouddhisme est une voie de la libération, et pas de l'asservissement. Mais liberté veut aussi dire responsabilité. Et, sous couvert de libération, on sait bien qu'on peut imposer le pire des esclavages.

Pourtant, il est inutile de faire toute une conférence pour savoir tout ce que le sexe peut générer comme emmerdements. C'est un appétit physique et de par là-même, il entraîne des problèmes. C'est même l'exemple le plus fondamental du dukkha de ne pas pouvoir être avec qui on veut et d'être coincé avec qui on n'a pas envie!
On voit par exemple un bel objet de désir, on se met en quatre pour pouvoir l'avoir, on souffre tant qu'on n'y a pas réussi, on souffre parce qu'on n'a pas réussi, et on finit par souffrir, une fois qu'on a réussi parce qu'alors commencent les ennuis... Sans compter le délire de l'"âme-soeur", être idéal que, chaque fois qu'on le rencontre, on découvre ne pas être l'être parfaitement compatible dont on avait tant rêvé. On repart donc immédiatement en chasse de la "vraie" âme-soeur. Et cela sans fin.

On s'attache de façon illusoire à un nom/forme et, dans les cas de don-juanisme, on laisse derrière soi une traînée d'attachements et de malheur dont il serait bien présomptueux de croire qu'on n'en ressentira jamais les conséquences. Il est si facile de se fixer sur l'objet de la passion ou de s'obséder de plaisir sexuel en général.
Le problème, c'est que nous en attendons trop; sans tous ces mythes d'amour romantique, nous serions peut-être moins obsésés et souffririons moins lorsque nos attentes ne se réalisent pas toutes (ou pas du tout). Quand on s'attend à ce que le sexe (et l'argent, la gloire etc.) nous rendent heureux, ou que notre partenaire nous complète, nous en demandons bien trop.

A ce propos, je ne puis résister à la tentation de vous rapporter la vieille histoire de deux bonzes qui voyagent ensemble. Ils arrivent à une rivière où se trouve une jeune fille qui n'ose traverser car le courant est trop fort. Un des bonzes la prend sur son dos et la fait traverser. Pendant tout le reste du voyage, son camarade ne lui adresse plus la parole. Arrivés au monastère, il lui demande: "Pourquoi tu me fais la gueule?" -- "T'as contrevenu à notre règle, t'as pris cette femme sur ton dos!" -- "Oh, ecoute! Moi, la fille, je l'ai laissée à la rivière". Toi, ourquoi tu te la traines encore?"

Maître Dôgen disait "Il y a des gens stupides qui prétendent qu'il faut éviter les femmes parce qu'elles sont des objets de désir. Mais s'il fallait haïr les femmes pour ça, ne faudrait-il pas aussi haïr les hommes?"

Un haut-fontionnaire chinois étudiait le bouddhisme auprès d'un vieux maître zen et lui demanda: "C'est quoi, en fin de compte, l'essentiel des enseignements du Bouddha?"
Le vieux maître lui répondit: "Eviter le mal, faire le bien pour les autres créatures".
Le haut-fonctionnaire répliqua: "Si c'est ça, même un gamin de trois ans aurait pu me le dire!"
Le vieux rétorqua: "Ouais, un enfant de trois ans pourrait vous le dire, mais même un vieux de quatre-vingts ans n'y arrive pas".

vendredi 1 juin 2007

"qui veut faire l'ange fait la bête"

Les chrétiens ont un joli dicton qui est "qui veut faire l'ange fait la bête".
Il est intéressant, car il contient de nombreuses informations utiles. Mais mettons d'abord les choses au point. En bonne théologie, un ange est un pur esprit. Même si on le représente comme un joli garçon avec une robe et des ailes, c'est censé être un pur esprit, donc un être sans aucune matérialité (et donc rien sous la robe).
Une bête, c'est un animal, c'es-à-dire un être qui n'est régi que par ses sensations, sa matérialité et ses instincts fondamentaux: manger, boire, dormir, se reproduire.
Un ange, si donc on s'en tient à la définition, est immatériel et par là incapable d'agir. Il ne peut que conseiller, "souffler" la bonne réponse ou la bonne réaction au moment opportun. La bête, elle, est incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Autrement dit, le bon fonctionnement d'un être humain dépend essentiellement de l'équilibre entre ces deux aspects de notre humanité, l'ange et la bête. Vouloir "faire l'ange", c'est vouloir s'extraire de son animalité, c'est non seulement vouloir se priver de ses moyens d'action, mais c'est aussi vouloir l'impossible et par là, devenir encore plus bête que la bête, qui elle, au moins, vit dans la réalité.
L'ange ne peut agir que par l'intermédiaire de la bête. La bête ne peut se projeter, accepter de faire des actions à priori absurdes ou du moins contraires à son instinct primaire que grâce au conseil de l'ange.

Ce n'est pas par hasard si les chrétiens ont adopté comme représentation du démon ("la bête") la représentation du dieu Pan, un être mi homme, mi bouc, qui était le symbole d'une nature sauvage, non civilisée, livrée à ses instincts. Le christianisme qui tient le corps pour impur (il n'est pas le seul en cela) ne pouvait qu'avoir horreur d'un pareil symbole.
Lorsque dans la bande dessinée on voit tel personnage flanqué de deux petits êtres imaginaires, tous deux à son image, l'un blanc avec des ailes et une auréole, et l'autre rouge avec des cornes et une queue, nous avons là aussi une représentation symbolique de cette chose fondamentale: être humain signifie être également ange et démon.
Ange lorsque nous faisons abstraction de nous pour nous consacrer à des objectifs plus élevés, démon lorsque nous ne faisons que ce que nos instincts les plus primaires nous indiquent.

Mais être humain, à part entière, ce n'est pas se détacher de son animalité. Ce n'est pas devenir un être éthéré sans consistance qui perdrait sa vie, disons à faire signer des pétitions contre la faim dans le monde (en guise d'exemple). Etre humain, c'est faire avec ses forces, ses faiblesses, et faire l'équilibre entre l'intellect et les autres cinq sens, entre le système nerveux sympathique et le parasympathique, entre l'instinct d'agression et l'instinct de fuite, savoir que nos idées ne sont que des idées, et que si l'on est sincèrement convaincu qu'une de ces idées est bonne, non seulement pour soi, mais pour tout l'Univers, alors il faut commencer à oeuvrer avec la réalité, telle qu'elle est, fut-elle Beyrouth à une époque, fut-elle la Tchétchénie à la nôtre, ou encore le Darfour, et, patiemment, inlassablement, tel Sysiphe, remonter notre rocher sans nous décourager, écouter les critiques avec patience et attention, corriger nos efforts s'il y a lieu grâce à ces critiques lorsqu'on les juge valides, et ne même pas espérer voir un jour le fruit de nos labeurs.
Mon expérience est que, en faisant ainsi, non seulement il nous arrive parfois de voir ce fruit, alors qu'on ne s'y attendait même pas, mais que c'est seulement ainsi qu'on arrive à ne pas se décourager. C'est ainsi qu'on arrive à "être un homme, mon fils"...

jeudi 24 mai 2007

Mythomanie

En lisant le blog de Brad Warner, j'ai vu que quelqu'un s'était fait passer pour lui dans la section commentaires. Et sa réponse au mytho était "trouve-toi une vie!".

J'ai connu des mythomanes, et à chaque fois, c'est la même tristesse. Voilà des gens chez qui la fameuse angoisse de l'être (dont traite à la base le Bouddhisme) est telle qu'ils ne peuvent se contenter d'une vie réelle, trop anodine à leur goût. Il faut qu'ils s'inventent une vie rêvée. Et comme cette vie rêvée est naturellement bien plus prestigieuse (glamour, on dit maintenant) que la vraie, ils finissent par croire leur propre mensonge. Evidemment, ils se grillent ainsi très rapidement, et on voit ces personnes souvent devoir changer de ville et de vie fréquemment pour pouvoir continuer leur petit jeu.

Ici, nous avons quelqu'un pour qui se faire passer pour un autre est la seule chose excitante qu'il ait pu imaginer. Lorsque nous considérons nos propres vies, nous avons généralement tendance à croire qu'elles sont minables, plates, sans relief, qu'elles ne valent pas la peine qu'on en fasse un roman. C'est souvent une erreur de perspective. Certes, toutes les vies ne feraient pas un roman, même celles qui furent réellement aventureuses. Une vie est bien trop complexe pour faire un roman. Les vies de roman sont des vies simplifiées à outrance, où le caractère et les événements sont eux aussi simplifiés. Mais je tends à penser que si nos vies étaient des vies de roman, nous, qui avons à les vivre, les trouverions bien trop excessives et sans intérêt à la fin.

Il faut apprendre à vivre avec l'ennui intrinsèque de nos vies. C'est dans cet ennui que se trouve le secret du bonheur.

Mxl

vendredi 27 avril 2007

L'interdépendance

Hier, en cherchant un sujet sans rapport aucun avec le B, je suis tombé sur ce site:
http://www.egards.qc.ca/, "revue de la résistance conservatrice"...
Il s'agit d'un site québécois dédié au néo-libéralisme. On y lit des perles du genre: "Notre résistance antiétatique s´inspire des principes traditionnels d’une pensée conservatrice (...) :

1. La croyance en un ordre transcendant (ou à un corps de lois naturelles) appelé à régir la société ainsi que la conscience.

2. Un attachement envers la variété luxuriante et le mystère de l´existence humaine et une horreur sacrée envers l´uniformité étriquée, les objectifs égalitaristes et utilitaristes de la plupart des systèmes radicaux.

3. La conviction qu´une société civilisée exige des ordres et des classes et le rejet de la notion absurde de "société sans classes".

4. La certitude que la liberté et la propriété sont étroitement liées, qu´avec l´abolition de la propriété privée, on se retrouverait dans l´antre du Léviathan.

5. La méfiance envers les sophistes, les calculateurs et les économistes qui désirent reconstruire la société sur des conceptions abstraites.

6. La prise de conscience que le changement peut ne pas être salutaire, qu´une innovation ou qu´une réforme précipitée provoque quelquefois des effets dévastateurs au lieu d´être un facteur de progrès. "

Je voudrais voir un peu avec vous les six points sus-mentionnés.
"1. La croyance en un ordre transcendant (ou à un corps de lois naturelles) appelé à régir la société ainsi que la conscience."

Nous bouddhistes, d'emblée, ne croyons pas en un ordre transcendant. Le seul corps de lois naturelles qui existent pour nous, c'est la loi de causalité, qui veut que nos actes ont des conséquences qui deviennent à leur tour des causes et ainsi de suite. Parfois, je le résume un peu crument: si on fout la merde partout, faut pas s'étonner ensuite que ça pue. Ou, comme le dit un dicton occitan: "Quand on s'endort avec le cul qui gratte, on se réveille avec les doigts qui puent". Qu'est-ce qui peut donc régir nos consciences? La simple lucidité par rapport aux deux phrases précédentes.

"2. Un attachement envers la variété luxuriante et le mystère de l´existence humaine et une horreur sacrée envers l´uniformité étriquée, les objectifs égalitaristes et utilitaristes de la plupart des systèmes radicaux."

Voilà une phrase avec laquelle on ne peut être que d'accord. Sortie de son contexte, il est peu de gens qui consentiraient à la contredire. Laissons la donc en l'état et poursuivons.

"3. La conviction qu´une société civilisée exige des ordres et des classes et le rejet de la notion absurde de "société sans classes"."

Nous y voilà! Le chat qui sort du sac. Les mêmes dont nous savons, par expérience, qu'ils seront toujours de mauvais poil en voyant quelqu'un qui n'est pas habillé "comme il faut", nous font l'éloge de la diversité, mais ce n'est que pour nous faire avaler qu'il est normal qu'il y ait des classes sociales!
L'homme est un animal social. L'animal ne connait qu'un seul système d'organisation sociale: "top down", ou le vertical de haut en bas. Chez les rats ou les loups, par exemple, il y a les mâles bêta qui cherchent tous à prendre la place du mâle alpha, et il y existe en permanence un danger pour les animaux en haut de l'échelle de se faire dégommer par un quelconque Iznogoud qui voudrait tant être calife à la place du calife! Il est donc normal que ces comportements existent chez nous.
Mais une des caractéristiques de l'homme, déjà vaguement esquissée chez les primates, c'est la coopération. Autrement dit, une variable horizontale dans un modèle vertical. Le système mutualiste, coopératif, d'entraide mutuelle court-circuite le système de despotisme vertical auquel semblent tant tenir nos amis. Quoique d'une grande fragilité, car il implique de faire coopérer des gens qui ne s'entendent pas néçesairement entre eux, ce système a largement fait la preuve que, lorsqu'il est performant, il peut tenir tête à des systèmes verticaux extrêmement puissants: voir les Grecs contre l'Empire Perse.
Certes l'égalitarisme forcené est aussi une sottise, car il contrevient paradoxalement à l'idée d'égalité. Si nous sommes tous égaux en droits et en devoirs, il est évident que chacun doive contribuer à la hauteur de ses capacités. L'égalité est comme un "starting-block". Tout le monde part du même pied. Vouloir tout organiser en fonction du handicap pour que tout le monde arrive en même temps, c'est aussi dire que le talent, l'ingéniosité, la capacité de travail n'ont aucun intérêt.
Mais se serrer les coudes, entreprendre ensemble parce que cela diminue l'effort de chacun, et partager les fruits de cette collaboration, voilà bien qui caractérise l'humain, et au plan social, les sociétés humaines les plus efficaces. Le principe même de démocratie est basé là-dessus.

4. La certitude que la liberté et la propriété sont étroitement liées, qu´avec l´abolition de la propriété privée, on se retrouverait dans l´antre du Léviathan.

Quelle liberté, et quelle propriété? Le préambule de la déclaration des droits de l'homme dit que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle des autres. C'est d'ailleurs le sens de "liberté égalité fraternité". S'il y a liberté sans égalité, il y a plus de liberté pour qui a davantage les moyens d'imposer la dite liberté, et donc, la liberté de ce plus fort empiétera sur celle du plus faible. Si on se contente de ce correctif égalitaire, on se trouve comme ces voisins qui surveillent au micromètre leur clôture et ne pardonneraient pas le moindre empiétement de leur voisin, ce qui rend la vie de tous impossible. La fraternité vient ajouter de la souplesse à ce dispositif. Mais, pour ces conservateurs, la liberté est celle de faire ce qui leur plaît, sans égard à des règles d'égalité et de fraternité qui pourraient les brimer.

Quant à la propriété, c'est pareil: la propriété sous l'ancien régime, était conditionnée par l'utilité commune. En effet, on considérait que la richesse qu'on pouvait acquérir était en partie dûe à la société qui permettait au citoyen de s'enrichir, ce qui impliquait des obligations sociales. Un riche, tout riche qu'il fut, ne pouvait disposer de son bien au préjudice de la communauté. Il ne pouvait laisser se détruire un immeuble, ni détruire des bien meubles par caprice. Ce dont il n'avait plus l'usage, il devait le remettre dans le circuit communautaire. Ce sont en partie ces limitations que la révolution industrielle ainsi que la française ont voulu supprimer.

En somme, cette société impitoyable où le riche peut faire ce qu'il veut, et où le pauvre (le "salaud de pauvre") n'a qu'à s'en prendre à lui-même n'est pas une fatalité. On pourrait même la soupçonner d'être le prélude à la fin d'une civilisation puisque c'est cette détaxation systématique des riches et le report du fardeau de l'impôt sur le pauvres qui a précipité la faillite de l'état byzantin.

Quant aux deux derniers:
"5. La méfiance envers les sophistes, les calculateurs et les économistes qui désirent reconstruire la société sur des conceptions abstraites.
6. La prise de conscience que le changement peut ne pas être salutaire, qu´une innovation ou qu´une réforme précipitée provoque quelquefois des effets dévastateurs au lieu d´être un facteur de progrès. ""

ils me font sourire puisque ce qu'on observe, c'est que nos néo-conservateurs sont parmi les plus dogmatiques calculateurs, sophistes et économistes, à l'heure actuelle, et enragés de réformes dont ils disent à chaque fois que, si elles n'ont pas si bien réussi qu'ils le pensaient, c'est qu'on n'en avait pas assez fait.


Bref, nous qui apprenons que rien ni personne n'existe indépendamment de son contexte, que tout est relié et que rien n'agit sans conséquences sur son environnement, voilà des principes qui doivent nous faire réfléchir: des gens s'acharnent à nous ramener à l'état de jungle, où chacun est un loup pour tous: si nous les laissons dire et faire sans réagir, que nous arrivera-t-il?

lundi 9 avril 2007

Sharmoniser

S’harmoniser, ah, le vilain mot !

Hier encore j’ai entendu quelqu’un me dire qu’il « fallait s’harmoniser ». Oh que cette expression me gonfle !
Il s’agit d’une expression courante dans les groupes bouddhistes, surtout d’inspiration japonaise. En effet, on la retrouve aussi bien au sein de la Soka Gakkai que dans les divers groupes zen. Son sens est essentiellement le suivant : peu importe ce qui se pratique dans le groupe, tu fais pareil. Si le groupe décide de mettre soleil au féminin et lune au masculin, tu t’harmonises. Peu importe qu’en dehors du groupe il en aille autrement, on s’en fout, tu t’harmonises ! Si le groupe te dit que deux et deux font cinq, tu t’harmonises !
Pour quiconque connaît un peu la sociologie orientale, ce genre de délire ne provoquera aucune surprise. Même les anti-conformistes s’y réunissent en groupes d’anti-conformistes, groupes dans lesquels tout le monde fait pareil, évidemment.
Ca me rappelle un dessin que j’avais vu, montrant un troupeau de moutons s’avançant vers une falaise, et, bien entendu, les premiers étant poussés par ceux derrière tombaient inéluctablement dans le ravin. Sauf une brebis, à contre-courant, qui tentait de remonter le flot suicidaire du troupeau, en disant : « Pardon. Excusez-moi ». Sale individualiste qui refuse de s’harmoniser !!!
En fait, ce qui me paraît évident, c’est qu’on se trouve encore une fois face à un malentendu. Je ne vais pas rappeler la nature intimement dictatoriale des divers régimes politiques qui se sont succédés au Japon du XVI° siècle au milieu du XX°. Il me semble qu’il n’est pas besoin d’être trop malin pour deviner que ça ait pu avoir une influence sur les mentalités, surtout quand on voit l’impact que la Grande Dictature Militaire -- qui chevauche la fin du XVIII° et le début du XIX°-- a pu laisser sur les mentalités françaises.
Cette nécessité de s’harmoniser existe. Mais pas à tout prix. Et, surtout, elle ne doit pas être un moyen autoritaire de faire rentrer les moutons noirs dans le rang. Pour qu’elle soit valable, il faut qu’il s’agisse d’une initiative individuelle et intérieure, et qu’elle ne s’apparente pas à une démission ou une compromission.
Mais dans le cadre de l’autoritarisme, il s’agit au contraire du prétexte rêvé pour faire taire tous les empêcheurs de tourner en rond. C’est un appui indéfectible à la rigidité mentale, et l’idéal pour pouvoir éviter de se remettre en question.
A moi, il me semble que l’agir juste de l’Octuple Noble Sentier implique de s’adapter aux circonstances, de modifier les choses en fonction de ce qu’on peut découvrir avec l’expérience. Refuser de modifier un comportement au prétexte que c’est la tradition est formellement déconseillé dans le Sûtra aux Kalamas, où il est dit « Ne croyez pas parce que le moine l’a dit, ou parce que c’est la tradition ». Moi, mon expérience d’artisan m’a permis de voir comment la « tradition » peut se déformer en l’espace de quelques années, voire parfois de quelque mois. Et il faut parfois beaucoup d’observation et d’humilité pour remettre en question ce qu’on croit savoir, parce que cette remise en question implique d’admettre qu’on s’est trompé, ou qu’on a été trompés.

La transmission ne se fait jamais à l’identique. Un maître forme un élève dans la mesure de ses capacités, mais aussi dans la mesure des capacités de l’élève. Chaque être humain est différent de l’autre, et donc la compréhension est toujours fonction de la conformation propre de chacun. Un maître transmet les choses au fur et à mesure d’un programme qu’il s’est donné, mais aussi au gré des circonstances. Certains éléments qui reviennent plus souvent que d’autres sont plus facilement enseignés, et transmis, et compris en fonction des capacités de l’élève. Certaines choses il les comprendra moins bien que d’autres. Certaines, dont l’usage n’est guère fréquent risquent de ne pas bénéficier de la même maîtrise que ceux qu’on pratique tous les jours. C’est ainsi que dans l’artisanat, la simple tradition sans imagination tend à s’appauvrir, par la force des choses.

mardi 13 mars 2007

Méditation ou contemplation?

Ce matin je me faisais une fois de plus la remarque que le mot "méditation" est bien mal choisi pour parler de zazen.

En effet, dans l'optique dogenienne, cela n'est pas possible. Il faut pour cela nous rétérer à notre propre culture. Les deux existaient déjà dans le christianisme. "Méditation" désigne une pratique où l'on se pose quelque part, généralement dans un endroit tranquille et propice à l'exercice, pour ruminer un problème quelconque, une pensée, une situation. "Contemplation" désigne une activité où l'on ne fait rien, sinon contempler quelque chose.Lorsque, par exemple, on contemple un coucher de soleil, on est assis là, sans rien faire d'autre que de regarder le soleil se coucher. On ne s'exclame pas, on ne discute pas, on ne réfléchit pas, on se contente d'être là et de profiter du spectacle. La même chose s'il s'agit d'une jolie personne, d'un paysage sublime ou d'un rapace en plein vol. Et donc, la même chose aussi s'il s'agit de la divinité, ou d'un mur blanc devant soi.

Dans ces conditions, "méditation" ne pourrait s'appliquer au zen que dans le cadre de la pratique rinzaï, où l'on "médite" un kôan, thème en apparence absurde dont il faut arriver à décoder le sens. De toute façon, il suffit de se procurer le bouquin: toutes les réponses y sont consignées. Certes, c'est un livre secret, et il ne doit pas être facile à dégoter, mais il suffit de savoir qu'il existe.

La pratique enseignée par maître Dôgen est autre. On ne doit pas ruminer quoi que ce soit. On n'a pas à se préoccuper du chaud ni du froid, du bon ni du mauvais, de l'hiver ou de l'été, de la sécheresse ou des inondations. On contemple le mur face à soi, et ça suffit. Et on le fait sans en attendre quoi que ce soit. Certes, il est possible qu'un jour, quelque chose se produise. Mais si on l'attend, ça ne se produira jamais. Ma grand-mère disait toujours, selon ma mère (car la mémé est morte à 53 ans alors que je n'en avais moi-même que 3...) "A watched pot never boils". C-à-d que si on reste à côté de la casserolle, on a l'impression que l'eau ne bout jamais.

L'intérêt de ne rien attendre d'une pratique, c'est qu'on risque bien moins de se décourager. Prenons -comme par hasard- mon cas personnel. Je me suis mis à la pratique de zazen assez tardivement, quoique j'aie très tôt éprouvé une fascination pour la posture du lotus. Et là, je parle de mon adolescence. Mais comme je n'ai jamais rien fait pour assurer une certaine souplesse à mes membres, handicapé que j'étais, en plus, par une grande rigidité mentale, j'ai eu du mal lorsque je m'y suis mis.

Pour moi, dans ces conditions, le fait de n'avoir aucun espoir d'y arriver à été d'une grande aide pour pratiquer mes exercices d'assouplissement. (voir http://zenmontpellier.site.voila.fr/fr/lotus/intro_lotus.html)
N'espérant pas grand chose de ces exercices, mais sachant que ce serait pire si je ne les faisais pas, j'ai pu graduellement arriver à une souplesse supérieure à celle qui était mienne à 30 ans, alors que j'approche de la soixantaine!

Donc, même si ce n'est pas moi tout seul qui transformera le vocabulaire, je le signale ici: le mot "contemplation" serait plus approprié pour parler de zazen, dans le cadre de l'école soto, que quelqu'autre terme que ce soit.