Les chrétiens ont un joli dicton qui est "qui veut faire l'ange fait la bête".
Il est intéressant, car il contient de nombreuses informations utiles. Mais mettons d'abord les choses au point. En bonne théologie, un ange est un pur esprit. Même si on le représente comme un joli garçon avec une robe et des ailes, c'est censé être un pur esprit, donc un être sans aucune matérialité (et donc rien sous la robe).
Une bête, c'est un animal, c'es-à-dire un être qui n'est régi que par ses sensations, sa matérialité et ses instincts fondamentaux: manger, boire, dormir, se reproduire.
Un ange, si donc on s'en tient à la définition, est immatériel et par là incapable d'agir. Il ne peut que conseiller, "souffler" la bonne réponse ou la bonne réaction au moment opportun. La bête, elle, est incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Autrement dit, le bon fonctionnement d'un être humain dépend essentiellement de l'équilibre entre ces deux aspects de notre humanité, l'ange et la bête. Vouloir "faire l'ange", c'est vouloir s'extraire de son animalité, c'est non seulement vouloir se priver de ses moyens d'action, mais c'est aussi vouloir l'impossible et par là, devenir encore plus bête que la bête, qui elle, au moins, vit dans la réalité.
L'ange ne peut agir que par l'intermédiaire de la bête. La bête ne peut se projeter, accepter de faire des actions à priori absurdes ou du moins contraires à son instinct primaire que grâce au conseil de l'ange.
Ce n'est pas par hasard si les chrétiens ont adopté comme représentation du démon ("la bête") la représentation du dieu Pan, un être mi homme, mi bouc, qui était le symbole d'une nature sauvage, non civilisée, livrée à ses instincts. Le christianisme qui tient le corps pour impur (il n'est pas le seul en cela) ne pouvait qu'avoir horreur d'un pareil symbole.
Lorsque dans la bande dessinée on voit tel personnage flanqué de deux petits êtres imaginaires, tous deux à son image, l'un blanc avec des ailes et une auréole, et l'autre rouge avec des cornes et une queue, nous avons là aussi une représentation symbolique de cette chose fondamentale: être humain signifie être également ange et démon.
Ange lorsque nous faisons abstraction de nous pour nous consacrer à des objectifs plus élevés, démon lorsque nous ne faisons que ce que nos instincts les plus primaires nous indiquent.
Mais être humain, à part entière, ce n'est pas se détacher de son animalité. Ce n'est pas devenir un être éthéré sans consistance qui perdrait sa vie, disons à faire signer des pétitions contre la faim dans le monde (en guise d'exemple). Etre humain, c'est faire avec ses forces, ses faiblesses, et faire l'équilibre entre l'intellect et les autres cinq sens, entre le système nerveux sympathique et le parasympathique, entre l'instinct d'agression et l'instinct de fuite, savoir que nos idées ne sont que des idées, et que si l'on est sincèrement convaincu qu'une de ces idées est bonne, non seulement pour soi, mais pour tout l'Univers, alors il faut commencer à oeuvrer avec la réalité, telle qu'elle est, fut-elle Beyrouth à une époque, fut-elle la Tchétchénie à la nôtre, ou encore le Darfour, et, patiemment, inlassablement, tel Sysiphe, remonter notre rocher sans nous décourager, écouter les critiques avec patience et attention, corriger nos efforts s'il y a lieu grâce à ces critiques lorsqu'on les juge valides, et ne même pas espérer voir un jour le fruit de nos labeurs.
Mon expérience est que, en faisant ainsi, non seulement il nous arrive parfois de voir ce fruit, alors qu'on ne s'y attendait même pas, mais que c'est seulement ainsi qu'on arrive à ne pas se décourager. C'est ainsi qu'on arrive à "être un homme, mon fils"...
vendredi 1 juin 2007
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1 commentaire:
En fait, je l'avais oublié au moment d'écrire cet article, mais la phrase est de Blaise Pascal qui écrit: "L'homme n'est ni ange ni bête, mais le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête."
« Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre. Mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre.
Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre.
L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête.
S’il se vante, je l’abaisse ; s’il s’abaisse, je le vante ; et le contredis toujours, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible.
Que l’homme maintenant s’estime à son prix. Qu’il s’aime, car il y a en lui une nature capable du bien ; mais qu’il n’aime pas pour cela les bassesses qui y sont. »
PASCAL, Pensées, Livre de poche, 1962, p. 151.
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