mercredi 12 août 2009

Dévotions

Bon, je contribue pas souvent, mais je me suis dit hier que je pourrais aborder ce sujet.

La démarche de base, lorsqu'on décide d' "être" bouddhiste, c'est la prise de refuge.
Dans certaines écoles, cela fait l'objet d'une cérémonie, d'autres sont moins contraignantes sur ce sujet. De quoi s'agit-il?

"Je prends refuge dans le Bouddha,
"Je prends refuge dans le Dharma,
"Je prends refuge dans le Sangha".

En prononçant ces refuges, on déclare (essentiellement à soi-même) qu'on prendra le Bouddha et de ses successeurs pour guides, qu'on mettra leurs enseignements en pratique, et qu'on s'appuiera sur l'ensemble de ceux et celles qui en font autant pour approfondir et développer sa pratique/étude.

Si j'écris ainsi "pratique/étude", c'est essentiellement parce que l'une ne peut aller sans l'autre.

Parfois, certains vont opposer à l'aspect religieux du Bouddhisme qu'il est une philosophie. C'est oublier ce qu'était la philosophie dans l'antiquité. Ce que nous, nous appelons philosophie, Robert M Pirsig l'appelle la "philosophologie". Nous n'apprenons jamais que le discours sur la philo: l'histoire de la philosophie, l'histoire de leurs penseurs, des éléments de leur pensée, mais ce n'est pas cela une philosophie.

Dans l'antiquité, lorsqu'on adhérait à une école philosophique, cela impliquait de se conformer aux règles et enseignements de cette école, dans sa vie de tous les jours. Chaque école avait ses règles de vie, et adhérer aux enseignements n'était pas qu'un jeu de l'esprit; c'était un engagement de tout l'être. En ce sens, on peut donc dire des philosophies de l'antiquité qu'elles étaient plus près de ce qu'on appelle "religion" que ce que nous, nous appelons "philosophie".

Cela dit, il convient aussi de se rappeler que l'Homme est un animal symbolique. Nous avons besoin de ce symbolique et tenter de l'éliminer ne fera que le faire revenir autrement. En ce sens, le Bouddhisme est une religion. Je rappelle toujours que ce mot, au contraire de l'étymologie si souvent avancée, mais qui est fausse, vient du verbe "religere", c'est-à-dire relire, et se réfère précisément à cette aspect rituel qui est justement ce qui porte le symbolique.

Maître Mokudô Taisen (Deshimaru) disait que les cérémonies, c'est du théâtre. Certes, mais ce serait aussi oublier la dimension religieuse du théâtre. Les tragédies de Sophocle, Euripide et autres étaient des cérémonies religieuses, ce qui ne laissera pas d'étonner ceux pour qui le théâtre n'est qu'un divertissement. Un mariage, c'est du théâtre. Des funérailles, c'est du théâtre (et pas du moindre!). Une remise de diplômes, c'est du théâtre: la preuve, il y a des pays (comme le nôtre) ou cela ne se fait pas.

C'est pour ces raisons que je continue à diriger des mini-cérémonies. Jusqu'ici ce ne furent que récitations du Sûtra du Coeur (http://www.youtube.com/watch?v=eFletFs5StE&feature=channel_page). Je n'ai pas encore eu l'occasion de conférer les préceptes, mais je suppose que cela viendra.

Ce qu'on peut reprocher à la Sôtôshu comme à l'AZI, ce n'est pas les cérémonies que ces associations pratiquent. C'est que ces cérémonies prennent trop de place par rapport à la pratique (de zazen) et à l'étude (des textes). Lorsque ce n'est plus que du "théâtre", on pourrait alors se contenter de comédiens. Si nous voulons avancer, il faudra bien réfléchir sur l'équilibre à respecter entre ces aspects.

Pour l'instant, je me contenterai donc de faire tous les matins sampai, comme tous les jours depuis septembre 2003.

dimanche 28 juin 2009

Renoncement

J'ai vu quelque chose, samedi qui m'a chagriné, si je puis dire.

Une dame que je connais, qui fréquente un autre enseignant zen depuis longtemps, se promène le crâne rasé, mais maquillée et affublée d'énormes boucles d'oreilles.

Que veut dire "se raser le crâne" pour un bonze bouddhiste? C'est le signe extérieur du renoncement. Du renoncement aux distinctions de sexe, de beauté, de séduction, du renoncement à l'envie d'être beau/belle, bref, une attitude d'acceptation sereine des choses telles qu'elles sont.

Que veut dire mettre du maquillage et des boucles d'oreilles voyantes? Que l'on n'a nullement renoncé à ces choses. Que veut dire "se raser le crâne" dans ces conditions? Ce n'est plus qu'un signe extérieur d'appartenance à un groupe social spécifique: "Regardez-moi: je suis une "zen"!"

Ce n'est plus du renoncement, c'est de l'exhibitionnisme...

Rappelez-vous, ceux que cela concerne ou intéresse: on ne doit se raser le crâne qu'à la pleine lune et à la nouvelle lune, et à la même occasion, renouveler ses voeux de respecter les préceptes, et se confesser d'avoir commis des erreurs.

Sinon, c'est pas la peine...

dimanche 31 mai 2009

Vous en posez des questions !

Un correspondant m'a écrit :

> Bonjour !
> -Comment peut on se concentrer sur la posture
> -Comment peut on se concentrer sur la respiration
> -Comment peut on se concentrer sur la posture et la respiration à la fois
> -Comment avoir un état d'esprit vide sans pensées

Vous en posez des questions! :-)

Se concentrer sur la posture: Vous êtes assis, en posture avec le dos redressé (c'est-à-dire en double courbe...) la tête bien posée sur la colonne. Vous respirez tranquillement. Vous vous assoupissez ou vous avez le petit vélo qui fait le tour de France dans le crâne. Alors, vous portez votre attention sur votre posture: suis-je bien assis? ai-je le dos droit? Est-ce que ma tête est bien posée? Est ce que mon nez est à la verticale de mon nombril? Est-ce que mes oreilles sont à la verticale de mes épaules? Vous étirez les muscles de la colonne, et vous sentez que vous vous allongez vers le haut.
Si c'était le vélo, vous bougez les épaules pour les détendre (la gamberge fait toujours se crisper les épaules).

On n'est pas assis à rien faire! On est en train de faire quelque chose de précis, et on cherche à ne faire que cela. Etre assis. Il ne faut pas faire deux ou trois choses à la fois. Une seule suffit. C'est pourquoi il s'agit d'une posture dynamique, où on est occupé pendant toute la durée de la séance. Occupé à rester assis, en équilibre entre devant et derrière, gauche et droite, mais aussi entre système nerveux sympathique et système nerveux parasympathique, entre assoupissement et agitation mentale, entre crispation et détente.

Comment peut-on se concentrer sur la respiration? Il ne faut pas. Si on se concentre sur sa respiration, on n'est plus concentré sur ce qu'on fait (être assis). On essaie de faire deux choses à la fois. Pas bon.

Lorsqu'on est concentré sur la posture, on est concentré sur son corps et sur la façon dont il nous permet d'être assis. Fatalement, la respiration étant une fonction automatique, on l'observe par la force des choses. Cela suffit, et correspond à ce que dit le Satipatthana sutta: "quand je respire vite, j'observe que ma respiration est rapide. Quand je respire lentement, j'observe que ma respiration est lente". Ne faire qu'une seule chose à la fois, être assis, permet paradoxalement d'observer sa respiration, alors que se concentrer sur sa respiration ne permet pas d'être attentif à ce qu'on fait (être assis).

Comment avoir un état d'esprit vide, sans pensées? On ne l'a pas. Penser est une activité naturelle de notre cerveau. Il ne peut s'en empêcher. Mais, si l'on observe le processus de la pensée, on s'aperçoit qu'il se divise en plusieurs strates. Les strates les plus fondamentales émettent des pensées très primitives, absolument pas verbales. Des sensations. Des envies. Ensuite, il y a les images. Une image surgit. Puis une autre.

La strate qui nous intéresse, c'est celle de la verbalisation. A partir de telle sensation, ou de telle image, nous élaborons un discours. Et nous le développons. Nous nous emparons d'un stimulus du cerveau, et nous en faisons une "expansion": nous le développons, nous l'agrégeons à autre chose, nous combinons, nous élaborons, bref, nous gambergeons. C'est cela que nous essayons de faire cesser au moins momentanément. Ce type sur la banquette arrière qui sait tout mieux que le conducteur et qui lui dit tout ce qu'il doit faire et plus encore, et lui indique toujours où aller, même et surtout quand il le sait très bien déjà. TA YEULE! :-D

Mais pour cela, il ne faut pas essayer. Cela arrive. Il ne faut pas l'empêcher. Il faut simplement être à ce qu'on fait, et cela ne se produit pas.


Mxl

jeudi 30 avril 2009

Réincarnation vs renaissance

Je me suis fait rabrouer sur un forum italien parce que j'ai dit que le Bouddha avait nié la réincarnation. Evidemment, si l'administrateur du forum est un dévot "tibétain", il ne faut pas s'en étonner. Néanmoins, je trouve que cela appelle quelques remarques.

Dans le Brahmajala Sutta (Majjhima Nikaya 38), le Bouddha expose comment des ascètes qui ont pourtant de l'expérience et de la bouteille peuvent se tromper lourdement sur la signification de leurs "visions". Du genre de celle que Brad Warner expose dans son premier livre, où il voit se dérouler sous ses yeux tout le processus de contraction et d'expansion de l'Univers.

C'est là que le Bouddha expose comment un dieu, étant le premier à apparaître dans son "palais" peut en arriver à croire être le tout premier d'entre les dieux (voire le seul!). Il y expose aussi les doctrines éternalistes et annihilationnistes. Ces doctrines sont, respectivement, celle qui prétend qu'il existe à chaque être une "essence" permanente et inaltérable (ce que les Chrétiens et autres appellent "l'âme"), et qui, dans l'hindouïsme voyage de corps en corps, ce qu'on appelle la "transmigration des âmes" ou "réincarnation". L'autre étant qu'à l'opposé, à la mort, à la dissolution du corps, l'esprit disparaît lui aussi.

Ce qui est exposé dans les suttas, c'est que le "karma" de chaque être, à cause de sa peur panique de disparaître à tout jamais, est projeté sur un nouveau-né, nouveau-né qui aura le souvenir de la vie de quelqu'un d'autre, pourra éventuellement croire avoir été ce quelqu'un d'autre, et verra sa vie influencée par ce souvenir.

Ce que je puis en dire, à part ce qu'on peut lire dans les sutras, c'est que rien ne permet d'affirmer ou d'infirmer ces choses. On n'a jamais vu personne revenir pour nous dire ce qui en est, et il me paraît que si c'était possible, qui empêcherait quelqu'un d'apparaître à la télé quelque temps après sa mort (qu'est-ce qui empêcherait une telle personne de pirater les ondes???) pour annoncer à l'humanité ce qui en est de son futur après la mort...

Autrement dit, dans tous les cas de figure, on en est au strict niveau des spéculations, et qui plus est, des spéculations oiseuses. C'est bien pour cette raison que tous les maîtres zen ont toujours eu tendance à s'agacer des questions sur la réincarnation ou renaissance, comme on voudra. On a déjà tant à faire ici et maintenant, et il faudrait se prendre la tête sur des histoires de transmigration? Alors, le truc de la renaissance, comme je l'ai exposé ci-dessus, passe encore, mais franchement, la transmigration d'une âme inaltérable, cela me paraît illogique à partir du moment où on postule l'unité du corps et de l'esprit.

Quand en plus on sait l'usage particulièrement politique (et pas toujours de façon "noble") qui a été fait (et se fait toujours) au Tibet et dans les milieux tibétains de ces histoires, il me semble qu'on pourrait en revenir un peu. D'ailleurs, il me semble que le Dalaï-Lama commence à en voir les possibilités perverses sur lesquelles lorgnent les Chinois.

Alors, pourquoi ne pas cesser de délirer?

dimanche 19 avril 2009

Le moi, la conscience et la spiritualité

Je suis paresseux et pas très inventif en matière de blog, et je puise volontiers ailleurs. Voici ce qu'un correspondant du blog de Brad Warner écrivait l'autre jour, en gros:

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... La spiritualité est ce vers quoi tend Brad. A savoir, la conscience est-elle notre "propre" expérience individuelle ou bien une portion d'une expérience à plus grande échelle dont nous ne serions qu'une toute petite partie?

Selon certaines traditions hindouïstes, nous faisons partie, maintenant et à tout jamais, d'une seule substance. La conscience serait alors un état dans lequel (comme dans l'océan) des bulles surgissent, séparant ainsi une partie de l'eau du reste (les parties séparées étant le moi comme dans les individus). Lorsque ces "bulles de vie" éclatent, nous ne faisons plus qu'un avec la substance unique (un océan de ~ eau).

Cette théorie fonctionne bien avec les boucles de Planck, dans lesquelles l'entièreté du tissu de l'espace-temps est une sorte de maille en 3D de boucles entrelacées. Si les mailles étaient étires dans toutes les directions, on n'aurait aucune masse perceptible. L'espace-temps serait immense et froid. Par contre, si la maille était comprimée en une seule boucle (1 x 10^-33 cm), on ferait alors l'expérience de la "singularité". L'espace-temps serait microscopique et chaud.

Tout comme un "slinky", ces chenilles-jouet construites autour d'un ressort hélicoïdal, cet espace-temps s'étire, puis se contracte, avant de s'étirer à nouveau, et ce, éternellement (sans commencement ni fin).

C'est ainsi que les concepts comme "vous et moi", "nous et eux", et "ceci et cela" sont absolument et totalement insignifiants, en fin de compte. Ce sont des fictions grammaticales.

Mais il est malgré tout inutile d'invoquer la physique quantique pour expliquer le "non-soi" (l'interdépendance) Prenons ce qui nous appartient. Existe-t-il un quelconque test scientifique des propriétés physiques de cet objet qui pourrait démontrer qu'il est à nous? Non, car la propriété n'est qu'un concept légal. Cela s'applique à tout le reste, y-compris le corps physique. Il ne nous appartient nullement, en réalité et s'il n'est pas à nous, comment pourrait-il être nous? Il n'y a donc pas de moi, et ce moi n'est rien d'autre qu'un concept. Fort utile au demeurant, mais conceptuel néanmoins.

Certes, quoi que soit ce qui me donne cette impression de moi, elle doit dépendre de mon corps, car c'est lui qui se situe dans l'espace-temps. Mais s'il était réellement "à moi", je pourrais lui interdire de vieillir, de se détériorer, de grossir et de tomber malade. Il ne fait rien de ces choses que "je" voudrais qu'il fasse. Donc...

dimanche 15 mars 2009

Cérémonies

Ce matin, des visiteurs m'ont interrogé sur les cérémonies. Maître Mokudô Taisen disait que les cérémonies, c'est du théâtre, et il avait bien raison. Mais le théâtre est religieux dans son essence même. Les pièces de Sophocle, d'Euripide, d'Eschyle étaient des cérémonies religieuses. Les cérémonies ne servent à rien mais, encore, maître Shômon Kôdô disait que "Zazen ne sert à rien".
La pratique se suffit à elle-même, mais, pour de nombreux pratiquants, les cérémonies permettent de créer du lien. En ce sens, elles ont donc leur importance. Il faut simplement voir à ce qu'elles n'occupent pas toute la place.
La récitation du Sûtra du Coeur (de préférence en langue vernaculaire) clôture bien une séance de zazen. Si elle se fait en français, elle permet de mémoriser les données essentielles du Bouddhisme. (Si elle ne se fait qu'en chinois shanghaïen du XIII° siècle, cet aspect passe un peu à la trappe). La dédicace universelle ("Que ces mérites qui se répandent en tous lieux éteignent le feu de la souffrance et nous permettent avec tous les êtres de réaliser la Voie du Bouddha")* sert aussi très bien ce propos.
Mais une cérémonie trop oubliée me paraît essentielle: c'est la seule qu'ait instituée le Bouddha de son vivant: la cérémonie du Repentir. On commence par la formule "Les torts que j'ai commis par le passé étaient le résultat de l'ignorance, de l'avidité et de l'aversion éternelles. Ils étaient le produit du corps, de la parole et de l'esprit. Aujourd'hui je m'en confesse et je m'en repents".** Ensuite, on répète les voeux qu'on a pris au moment de la prise des préceptes.
Il me semble bien plus logique de faire ainsi et de ne pas se laisser prendre au piège des belles formules en langue ésotérique que personne ne comprend.
Certes, il y a des gens qui se régalent de ne pas comprendre. Mais si l'on veut que la Voie bouddhiste soit une voie de la libération et non pas l'une des innombrables voies de l'asservissement, il est important de se rappeler souvent ce qu'est l'éthique.

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* Ceux qui fréquentent des dojos zen l'ont peut être entendue sous cette forme: "negawaku wa, kono kudoku wo motte, amaneku issai ni oyoboshi warera to shujo to mina to mo ni, butsudo wo jozen koto wo."
** La formule japonaise est: ga shaku sho zo sho aku go, kai yu mu shi ton jin chi, jushin ku i shi sho sho; issai ga kon kai sange."

jeudi 5 mars 2009

La raison pour s'asseoir

Je viens de lire un truc de Brad Warner qui m'interpelle. Alors je vous le traduis ici. Il écrit que la raison pour s'asseoir comme nous le faisons en zazen, c'est de pratiquer la stabilité. Si on s'est jamais trouvé sur un bateau par mauvais temps, on sait combien c'est bon de retrouver la terre ferme. Ce n'est pas qu'une sensation physique. La stabilité nous calme les nerfs. Des gens paient cher pour aller sur les manèges et se faire tourner dans tous les sens pour ressentir de la désorientation et de l'instabilité.

Zazen est la posture suprême de la stabilité. C'est la pratique réelle de la stabilité. C'est pour cela qu'elle est si absolument cruciale. Et je ne parle pas de la torsion des jambes, même si le lotus complet paraît être effectivement plus stable que les autres postures, si on y arrive. Mais c'est le fait de s'asseoir sur un coussin en se servant de ses genoux pour former un trépied et maintenir la colonne vertébrale droite de sorte qu'elle se balance en équilibre sur les hanches. C'est une posture qui permet de se sentir stable physiquement et mentalement dans une mesure qu'aucune autre posture ne permet.

Samedi le 7, matinée de zazen au 12 rue Doria, à partir de 10 heures.