mercredi 24 mars 2010

Le recueil de kôans de maître Dôgen

ONZE

Maître Joshu Jushin prêchait à une grande assemblée: Si nous sommes ne fut-ce qu'à peine conscients du bien et du mal, nous perdons complètement l'esprit du Bouddha. Quelqu'un a-t-il à redire à cela?
Un moine s'avança et frappa le jisha du maître (son assistant personnel, ou secrétaire) en disant : Pourquoi ne répondez-vous pas au maître?
Le maître rentra immédiatement dans ses appartements. Après quoi, le jisha lui demanda de lui expliquer : Le moine qui m'a frappé avait-il compris ce que vous vouliez dire?
Joshu Jushin répondit: La personne assise pouvait voir la personne debout. Et la personne debout pouvait voir la personne assise.

Commentaire de maître Nishijima:

Maître Joshu dit que même une légère conscience du bien et du mal perturbe notre stabilité. C'est notre esprit qui discrimine entre ce qui est bien et mal. Cette capacité à diviser, discriminer et analyser est une part essentielle de notre vie quotidienne, mais elle est incapable d'appréhender directement la réalité. L'esprit du Bouddha est un état dans lequel nous appréhendons directement la réalité et il nous est donc nécessaire de transcender toute discrimination. Cette idée conduit de nombreuses personnes à des conclusions fausses. Elles en tirent une image très bizarre de ce que serait une personne qui vit dans un tel état.

Pour illustrer ce point, on peut indiquer la différence qui existe entre un bébé et un bouddha. On peut dire que tous deux vivent dans un état exempt de notions abstraites du bien et du mal. Cependant, le bébé, lui, le peut parce qu'il n'a pas encore développé son esprit discriminant rationnel, alors qu'un bouddha a réalisé que l'essence n'est pas juste de savoir ce qui est bien ou mal, mais simplement de faire le bien et de ne pas faire le mal.

La personne qui voit la réalité, qui vit dans le même état que le Bouddha fait le bien à partir du noyau le plus profond de son être; non pas en suivant une liste de vertus écrite dans un livre, mais en suivant simplement la loi de l'Univers.

Maître Joshu Jushin demande si quelqu'un a quelque chose à dire sur la conscience qui va au-delà du bien et du mal. Comme le langage est lui-même basé sur cette discrimination, on pourrait penser que le maître donne une tâche impossible à ses étudiants.
Comment éviter cette contradiction? Le moine dans cette histoire choisit d'y répondre par sa propre action réelle. Le jeune moine qui a été choisi comme assistant personnel du maître n'a pas encore enraciné son bouddhisme dans la réalité. Il est donc incapable de répliquer au défi du maître, de sorte que l'autre moine donne à la question abstraite du maître un supplément consistant en quelques claques bien concrètes du second point de vue (matériel).
Le comportement de ce moine est en soi une réponse à la question de maître Joshu. C'est une démonstration concrète de l'esprit qui agit correctement sans discrimination, selon le besoin de la situation réelle.

Dans la troisième phase du kôan, le jisha veut comprendre quels sont les sentiments réels du maître sur l'action du moine qui l'a giflé. Cette question est sincère; c'est une question qui vient de son expérience réelle et non pas juste une participation à un jeu philosophique.

Dans la réponse que lui fait maître Joshu, l'expression "la personne assise" fait référence à lui-même (le maître) et "la personne debout" renvoie à l'autre moine. C'est ainsi que le maître affirme la compréhension du moine. Ils ont pu se voir l'un l'autre très clairement. Leur compréhension du Bouddhisme était la même.

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